Conjuguer impact social et pérennité économique ne semble pas aller de soi. Pourtant de plus en plus de projets cherchent à concilier les deux. Des entrepreneurs sociaux montent des entreprises dont le modèle économique leur assure pérennité et impact durable. Souvent, ces entrepreneurs ont « tout fait à l’envers. » Leur capacité d’inventer de nouvelles manières de faire au service d’une finalité sociale première est aujourd’hui une source d’inspiration pour toute entreprise « classique » confrontée aux défis de réinventer ses métiers et de donner du sens à sa mission et ses collaborateurs.
Le financement pour accompagner le développement de ces entreprises « autrement » est aussi amené à évoluer : on parle aujourd’hui d’impact investing – investissement d’impact – pour ces fonds qui cherchent à replacer l’humain au cœur de la croissance de l’entreprise, 100% dédiés à l’accompagnement de la croissance de projets à fort impact social et environnemental.
Dans la lignée des deux précédentes conférences, « Les Entreprises humanistes, plus fortes non par calcul mais par choix » en novembre 2016 ou « Mouvement ‘B-Corp’, le pouvoir de l’entreprise au service du bien commun » en avril 2017, la dixième soirée Vivre l’économie autrement le 19 octobre 2017 a permis un nouvel éclairage sur ces projets qui visent à concilier développement économique et atteinte d’un impact social majeur avec le témoignage de deux entrepreneurs engagés : François Marty du groupe d’insertion Chênelet et Vincent Fauvet du fonds d’investissement et d’accompagnement Investir&+.
François Marty, un parcours atypique et varié pour « faire ce qu’il y a à faire »
Pionnier de l’entrepreneuriat social, il fait bouger les lignes depuis plus de trente ans, notamment dans le domaine de l’insertion de personnes éloignées de l’emploi avec le groupe Chênelet. Personnalité attachante, vêtu de sa traditionnelle vareuse – elle était verte ce soir-là ! – François commence par témoigner de son itinéraire personnel : « Mon parcours est celui d’un gamin en difficulté de la région parisienne. A l’époque, les entreprises d’insertion n’existaient pas. A l’âge de 17 ans, et pendant quatre ans, ce sont les moines de Tamié en Savoie qui ont remplacé mes parents. Chez eux, j’ai appris le travail, qui est une solution, pas une condamnation J’y ai appris à étudier. J’ai aussi appris l’écologie, qui à l’époque s’appelait encore la nature. J’y ai réalisé mon rêve, celui de devenir chauffeur routier. Pour moi, un métier idéal, on voit du paysage et on mange tous les jours au restau…
Ensuite est venu un parcours un peu inconscient de créer une entreprise pour des jeunes qui n’avaient pas de travail à Calais et pour les premiers migrants. Ça a marqué le départ de différentes activités car à chaque fois qu’on voyait un problème, on essayait d’inventer une solution. En fait, on est comme un groupe de fous furieux qui a eu envie de prendre la vie au sérieux, de façon très légère, en faisant ce qui devait être fait plutôt qu’en se posant des questions. C’est ce qui a fait que des gens au parcours professionnel très riche nous ont rejoints en divisant leur salaire par 5 ou par 10, pour faire quelque chose d’utile. »
Pour passer d’un projet utile socialement à une entreprise capable de se développer dans la durée, François aime rappeler certaines interpellations salutaires, notamment de la part de représentants de la famille Mulliez venus lui rendre visite : « Si tu veux devenir entrepreneur, il faut te former pour cela. Ça ne s’improvise pas avec la seule bonne volonté. Ton projet le mérite. » C’est ainsi qu’il suivra un Executive MBA à HEC en suivant le CPA dont les portes lui seront ouvertes par un dirigeant visionnaire qui était d’ailleurs dans la salle ce soir-là. « Cette formation m’a permis de passer de bac – 15 à bac + 7. J’y ai surtout trouvé une super boîte à outils pour notre développement. »
Chênelet : un groupe, une marque, au service de l’insertion durable
Les photos des différents projets de l’aventure entrepreneuriale Chênelet défilent pendant que François Marty partage avec conviction et de nombreux traits d’humour ses combats et ses coups de gueule : « Face aux enjeux de société, il faut quitter le défensif pour l’offensif. Trop de pionniers sont morts, se sont habitués au système, ou bien sont fatigués. On va beaucoup nous pardonner car on a beaucoup osé. Ceux qui croient que la violence ne sert à rien, c’est qu’ils n’ont pas tapé assez fort. Il faut faire la guerre à la misère avec les habits de la paix. »
Le groupe Chênelet regroupe des Ateliers et Chantiers d’Insertion (ACI) et des Entreprises d’Insertion (EI) dans quatre filières aux expertises reconnues :
- agroalimentaire : avec la conservation de produits bio: soupes, jus, confitures, notamment pour des maraîchers et arboriculteurs locaux et l’hôtellerie-restauration avec l’accueil de séminaires d’entreprise et des gîtes ruraux ;
- la filière bois: exploitation forestière, scierie et production de palettes bois hors standard pour lesquelles Le Chênelet est leader français pour l’industrie papetière ;
- la construction et la rénovation de logements sociaux, sains, confortables et à charges maîtrisées ;
- les métiers supports de l’entreprise : administration, transport et logistique, maintenance et hygiène des locaux.
Depuis 30 ans, plus de 6.000 personnes ont ainsi été réinsérées dans ces différents projets. Le groupe compte actuellement 300 salariés, dont 250 personnes en contrat d’insertion, pour une durée maximale de 24 mois. Les personnes en contrat Chênelet bénéficient de 400 heures de formation reconnues par l’obtention d’un Certificat de Qualification Professionnelle (CQP salarié polyvalent et/ou CQPI conducteur d’équipements industriels), diplômes reconnus nationalement. « Etant moi-même un ancien cancre, je savais qu’il fallait une pédagogie adaptée pour notre centre de formation et la création du CQP : on fait travailler les gens et une fois qu’ils ont travaillé, on leur apprend ce qu’ils savent déjà ! Le cœur de notre dispositif est l’entreprise apprenante. Nos activités de production sont organisées autour de situations permettant de développer des apprentissages comportementaux et techniques pour les salariés. »

Remise des diplômes CQP suite à la formation animée en partenariat avec le Réseau « Chantier Ecole »
Un passage en cabinet ministériel
En 2000, le gouvernement Jospin décide pour la première fois de la création d’un Secrétariat d’Etat à l’Economie Sociale et Solidaire et y nomme le député écologiste du Nord Guy Hascoët. François Marty, qui le connaissait, est alors devenu pendant deux ans conseiller et chef de cabinet ministériel « fonction pour laquelle la seule qualité requise est d’avoir un copain nommé ministre » souligne-t-il avec humour. A la question de la différence entre l’économie sociale et l’économie solidaire qui ont donné lieu au portefeuille ministériel, François indique à son ministre : « Le social c’est la noblesse d’une société qui corrige, c’est ce que l’on fait pour les personnes âgées, la petite enfance, le handicap… Le solidaire, c’est de ‘faire avec’. On ne tire pas la couverture à soi, on est content des succès que l’on a ensemble, triste des échecs que l’on a ensemble. Cet ‘ensemble’ est vraiment précieux. Dans la solidarité, il y a une vraie fraternité. »
Le chauffeur routier sous les ors de la République a fortement contribué au développement du secteur, avec notamment la loi sur l’épargne solidaire permettant de canaliser l’épargne salariale vers le financement de projets à impact social.
Des maisons écolo basse conso pour le logement très social
Deux ans après, lorsqu’il revient au Chênelet, il constate que le projet a très bien fonctionné sans lui. Belle leçon de management ! Il s’agit donc pour lui d’imaginer un nouveau projet sans interférer avec les nouveaux responsables en place. Il reprend donc la route, en camion. C’est à ce moment-là que son chemin croise celui d’Ashoka, premier réseau mondial d’entrepreneurs sociaux fondé par Bill Drayton en 1980 > Voir ici un article de présentation du mouvement Ashoka qui vise à ce que chacun puisse être acteur de changement, convaincu que « Il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée nouvelle lorsqu’elle est dans les mains d’un véritable entrepreneur. » Devenu fellow Ashoka, c’est l’accompagnement du réseau qui a alors permis à François Marty de réaliser un « rêve fou » – ou en tout cas considéré comme tel par beaucoup ! : « Je voulais construire du logement social très qualitatif pour les gens qui n’ont pas d’argent puisque ce sont eux qui ont besoin d’un logement écologique pour ne pas payer de charges. Ashoka m’a aidé à ce que mon rêve ne soit pas un simple souhait mais se transforme en business model.»
Depuis dix ans, le groupe a ainsi étendu son action à la construction de logements écologiques basse consommation. La Foncière Chênelet est alors créée. Bailleur social reconnu, elle propose des logements « conçus pour durer », sains et économes pour les personnes qui les habitent :
- A base d’écomatériaux et d’approvisionnement local, ces logements – conçus pour et avec des habitants – sont sains: hygrométrie régulée, température stable, bonne isolation phonique, peintures et sols sans émission de COV, chambre 1m2 plus grande que la norme.
- Très bien isolés, ventilés et chauffés, ces logements sont basse consommation: moins de 10€/m2.an d’énergie et de fluides, ce qui évite de nombreux impayés.
- Ces habitations sont réservées aux ménages les plus démunis (entre 0,8 et 1 SMIC) qui bénéficient les loyers les plus bas du logement social (dispositif PLAI – Prêt Locatif Aidé d’Intégration).
Cette vidéo est à destination des futurs habitants des logements Chênelet, pour leur expliquer de manière didactique et ludique, comment bien y vivre tout en y dépensant peu :
Un projet « fait à l’envers » au business model innovant !
L’optique du Chênelet n’est pas centrée sur la baisse des coûts de fabrication du logement social. La foncière vise à rendre « attirant » le logement social pour les collectivités territoriales dans les communes où il s’établit avec un bâti de grande qualité, motif de fierté pour tout le voisinage.
François Marty indique : « On a pris les choses à l’envers. Quand on résonne logement social, c’est pour les pauvres, donc il faut construire pas cher, et après on est sûr qu’ils auront énormément de charges à payer, des dettes, etc. Notre idée était de faire de l’écologie pour les plus pauvres. En gros, une maison plus chère au départ, pour des gens qui vont avoir un loyer extrêmement modéré et qui ne paieront presque pas de charges. C’est un nouveau business model. Pensé sur le long terme. A partir du besoin des personnes. Et qui paradoxalement favorise l’acceptation par les communes de ce type de logements. N’oublions pas que sur 60 ans, le coût de construction ne représente que 17% du coût du logement social et 83% pour les charges !
La génération d’emplois et la qualification des travailleurs en insertion restaient un élément central de notre projet. Ce sont des logements pointus au niveau technique, qui vont au-delà des réglementations existantes. On a donc dû demander à nos ingénieurs de prendre aussi les choses à l’envers pour que des personnes sans qualification puissent construire une partie de ces logements dans notre Société de Construction Écologique. Pour chaque mètre carré de maison Chênelet construit, on comptabilise 9 heures d’insertion et 5 heures de formation. Par ailleurs, 70% de la construction est au bénéfice de l’emploi local (moins de 50 km du chantier) avec un réseau d’artisans sur place.»
Une cinquantaine de maisons se construisent tous les ans avec une présence comme bailleur social dans six régions de France. En complément des investissements déjà réalisés par Investir &+, les fonds d’investissement Schneider Electric, Rassembleurs d’énergie – Engie, PhiTrust, Mandarine Gestion et d’autres, quinze millions d’euros supplémentaires doivent être levés dans l’année qui vient pour faire face à la demande.
Une autre orientation va prendre de l’ampleur : la rénovation thermique de grandes maisons dont plus personne ne peut assurer la réhabilitation dans le centre de communes semi-rurales en les adaptant à un accès pour personnes à mobilité réduite : cela permet le maintien sur le territoire de personnes âgées ne pouvant plus rester dans leur logement actuel mal adapté sans devoir entrer dans un établissement spécialisé, plus lointain et dans lequel les places seront plus que jamais comptées. Cela demande de dépasser les contraintes de procédures, de financements trop spécifiques et plafonnés et de créer une communauté d’acteurs désirant trouver une solution nouvelle à un problème de société croissant.
Paraphrasant le poète sévillan Antonio Marchado ou Gregoire de Nysse, François illustre ainsi par l’une de ses formules fétiches la stratégie du groupe Chênelet « Le chemin n’existe pas, c’est en marchant qu’on le crée. » C’est sûrement ce qui permet aux équipes du Chênelet de réinventer des métiers, d’innover et de trouver des solutions toujours nouvelles et durables, « pour au-delà de la justice, trouver la justesse. »
Vincent Fauvert, la réunification d’un double parcours, professionnel et humanitaire
Il est aujourd’hui président exécutif d’Investir &+, fonds d’investissement et d’accompagnement d’entrepreneurs sociaux qui a notamment investit dans la Foncière Chênelet et dans une douzaine d’entreprises sociales.
Après ses études à HEC Paris et l’Université Paris Dauphine, Vincent démarre sa carrière dans l’humanitaire, dans les camps de réfugiés au Cambodge et en Inde. Parti pour l’association Agir pour le Cambodge, il en deviendra Président. En 2001,
l’association innove en créant Sala Baï, la première école d’hôtellerie restauration pour des jeunes cambodgiens à côté des temples d’Angkor. Le boom touristique et hôtelier de cette destination très prisée obligeait en effet à aller chercher du personnel formé dans les pays voisins, sans que les habitants de la région ne puissent en profiter. [Sala Baï vient de faire l’objet d’un très bon reportage dans l’émission Sept à Huit sur TF1, > voir ici]
Son engagement professionnel se poursuit dans la banque d’investissement de BNP Paribas. D’abord en France, au Chili puis au Brésil. « J’appliquais mes compétences dans le financement de projets pour la banque. Mais j’avais besoin de garder en parallèle des engagements associatifs pour me sentir acteur de projets qui avaient un impact dans la vie des gens. Dans des pays où les inégalités sont très marquées, des projets m’ont donné envie d’agir et m’ont inspirés. Avec un ami, Jérôme Schatzman, nous avons créé une entreprise de textile équitable, Tudo Bom favorisant le savoir-faire textile des femmes brésiliennes et le développement d’une filière de coton bio dans le pays. »
En 2004, Vincent rentre en Europe pour diriger la filiale anglaise puis l’ensemble du groupe de distribution spécialisée Saint-Maclou. « Certaines filiales perdaient beaucoup d’argent, de nombreux défis étaient à relever pour assurer la pérennité de l’entreprise et mobiliser les collaborateurs autour d’une vision partagée. Cette responsabilité demandait un engagement total. Et tout comme François, je suis le père de cinq enfants, il m’a donc fallut prioriser et j’ai dû mettre en veille mes engagements associatifs. Après sept années à la tête de l’entreprise, il me fallait passer à une autre étape et trouver de nouveaux équilibres.»
Investir &+, pour le succès des entrepreneurs sociaux
« La création d’Investir &+ correspondait pour moi à une volonté de réconciliation du business et du social au sein d’une activité professionnelle, non plus comme deux activités séparées mais en utilisant le business pour maximiser l’impact social.
La vente de la marque Tudo Bom nous a permis de récupérer la structure de l’entreprise Fair Planet pour lancer une structure d’impact investing. Parallèlement, des membres de l’Ashoka Support Network avaient créé « Investir &+ » afin de pouvoir prendre des participations chez les entrepreneurs sociaux qu’ils accompagnaient. La proximité de nos deux projets nous a amenés à fusionner nos activités, en gardant le nom d’Investir & +.
Investir &+ est une SAS à capital variable depuis 2012 pour accompagner financièrement et humainement des entrepreneurs dans leur projet à impact social et environnemental. Dès l’origine, au moment de la levée de fonds, j’étais convaincu de l’importance du double engagement : apport en capital et apport en accompagnement entre pairs du dirigeant : des entrepreneurs pour faire réussir des entrepreneurs sociaux. Les 35 investisseurs dans Investir &+ sont donc également les accompagnateurs des projets dans lesquels nous nous engageons, ils investissent de l’argent et du temps. »
La mission d’Investir &+ est de contribuer au changement d’échelle de l’entrepreneuriat social. Une étape essentielle consiste en l’identification et la sélection des entrepreneurs sociaux. Vincent présente les quatre critères principaux guidant ce processus : 1/ l’intention première de l’entrepreneur doit être la maximisation de l’impact social et environnemental ; 2/ il doit avoir la capacité à s’entourer de personnes de qualité et à atteindre les objectifs de son business plan ; 3/ il doit avoir la capacité de devenir leader dans son secteur, de le transformer sensiblement et de constituer un exemple inspirant ; 4/ il doit avoir un management cohérent et sensible à l’accompagnement.
Des ressources longues qui privilégient l’impact
« Progressivement, nous avons défini la typologie des projets à accompagner. Il nous a semblé que choisir de ne financer que le changement d’échelle, c’est être dans la lumière sans chercher les projets de l’ombre ! On se situe au niveau du « décollage », entre l’amorçage et le changement d’échelle d’un projet. Il doit idéalement avoir entre 12 et 18 mois d’existence ; générer du chiffre d’affaires et la preuve de son concept (le fameux PoC, Proof of Concept) doit être apportée. Les projets doivent aussi être à la mesure des enjeux qu’ils cherchent à adresser : le potentiel de transformation, de croissance et de propagation doit être important. Enfin, la personnalité de l’entrepreneur est essentielle. »
Investir &+ met à disposition des entreprises sociales des « ressources longues » leur permettant de financer leur développement, leur changement d’échelle et de maximiser leur impact social. A ses propres investisseurs, Investir&+ promet un double retour sur investissement : un retour sur investissement d’abord social : avec détermination des critères quantitatifs et qualitatifs d’impact. Et également un retour sur investissement financier avec une attente de rémunération de 2,5% par an et une liquidité des fonds à moyen terme : sortie par tiers sur trois ans après un minimum de cinq ans. De plus, l’accompagnement des participations, le partage d’expériences, les apports en expertise et en mise en relation et la montée en compétences des équipes constituent l’implication humaine demandée aux investisseurs et indispensable à la réussite des projets.
« Notre ticket d’investissement se situe entre 300 et 500.000 €, avec possibilité d’un deuxième investissement. Nous sommes minoritaires en tant qu’actionnaires mais voulons être référents dans le tour de table pour que l’accompagnement de proximité que nous proposons soit légitime et valorisé. Avec l’expérience, il me semble que les entrepreneurs sociaux doivent bien choisir leurs investisseurs. C’est fondamental car les critères d’arbitrage entre l’impact social et la rentabilité viennent très rapidement. Attention à la survente du Business Plan pour attirer des investisseurs classiques ! Les actionnaires sont très importants lors de difficultés dans l’entreprise, d’où l’importance d’une bonne entente et d’une relation authentique, où bienveillance et exigence vont de pair » précise Vincent.
Les exemples inspirants accompagnés et financés par Investir &+
Derrière les choix d’investissement du fonds se trouvent des projets novateurs et inspirants. Vincent Fauvet passe en revue certains exemples, au-delà de la foncière Chênelet présidée par François Marty. Nous en reprenons ici quelques-uns, toutes les entreprises accompagnées par Investir &+ sont présentées sur leur site.
SparkNews, fondé par Christian de Boisredon, que nous avions reçu en octobre 2013 pour une soirée Vivre l’économie autrement, créé un journalisme d’impact qui diffuse les solutions aux problèmes sociaux partout dans le monde. 80 médias et 150 millions de lecteurs sont ainsi touchés par l’Impact Journalism Day et la diffusion de ces innovations.
RecycLivre : fondée par David Lorrain en 2008, l’entreprise RecycLivre propose à des particuliers, entreprises ou collectivités la récupération de livres d’occasion et leur donne une seconde vie en les revendant sur des places de marché sur Internet en employant des personnes en insertion pour la gestion du stock et l’expédition. « Le projet a un triple impact : écologique par la remise en circulation de livres destinés au rebut, la lutte contre l’exclusion par l’emploi de personnes éloignées de l’emploi et enfin la lutte contre l’illettrisme par le versement de 10% de ses revenus à des associations, en France et à l’étranger. C’est ainsi plus de 800.000€ qui ont été versés à ce jour [montant actualisé en permanence sur leur site] » précise Vincent. Dans une interview sur le site d’Investir &+, David Lorrain partage son parcours et sa vision de l’innovation : « L’innovation ce n’est pas quelque chose qui n’a jamais été fait avant, c’est une mise en œuvre de plein de briques déjà existantes. » L’inspiration, les analogies avec d’autres business, penser autrement, c’est aussi ce que propose Investir &+ entre les différentes entreprises qu’il accompagne.
HelloAsso est une plateforme de financement participatif qui collecte de fonds sur Internet pour des associations. Pour accompagner le développement du monde associatif, en plus des campagnes de crowdfunding, HelloAsso met à disposition des outils facilitant leur travail : gestion d’adhésion en ligne, vente de billets, recueil de dons,… Depuis sa création en 2013 par Ismaël Le Mouël et Léa Thomassin, les 32 000 associations présentes sur HelloAsso.com ont collecté plus de 50 millions d’euros, intégralement reversés aux associations sans la commission pratiquée par les autres plateformes, HelloAsso compte pour se financer sur les ‘pourboires solidaires’ des donateurs.
Deuxiemeavis.fr est un service médical en ligne qui permet en cas de problèmes de santé graves d’obtenir un deuxième avis médical auprès d’un médecin spécialiste de la pathologie en moins de 7 jours sous forme d’un compte rendu écrit. L’histoire personnelle des trois co-fondatrices, Pauline d’Orgeval, Catherine Franc et Prune Nercy, qui ont eu besoin d’un deuxième avis face à la maladie est à l’origine du projet lancé fin 2015. « La finalité du service est de réduire l’inégalité d’accès à l’expertise médicale pour mettre toutes les chances de leur côté, notamment pour des patients résidant dans des zones enclavées, ayant des problèmes de mobilité ou tout simplement ne sachant pas comment s’y prendre. Le deuxième avis permet de rassurer le patient sur sa prise en charge, mais également de choisir les traitements les plus adaptés, tout en garantissant un avis par un spécialiste reconnu, ce qui n’est pas toujours le cas des sites internet traitant des problèmes de santé. Près de 100 médecins experts font partie du réseau à ce jour et 300 pathologies ont été traitées. » De plus en plus de complémentaires santé couvrent les frais de ce service qui s’élèvent à 295€. La sécurité des données médicales à caractère personnel est au cœur des préoccupations de la jeune entreprise pour répondre aux exigences légales et éthiques de leur hébergement, autorisé par la CNIL. Un Conseil Scientifique de haut vol présidé par le Pr Laurent Degos crédibilise le sérieux du service auprès des patients et du monde médical.
Acces, Inclusive Tech est une entreprise d’insertion du Groupe Ares dédiée aux métiers du numérique créée en partenariat avec la Fondation Accenture. « La technologie est souvent un obstacle à l’emploi pour les personnes défavorisées. Par l’emploi et la formation, elle devient le facteur d’inclusion vers le monde du travail. Access propose des prestations de test informatique et d’externalisation de fonctions support à ses clients. Comme pour tout contrat d’insertion, d’une durée maximale de deux ans, les collaborateurs d’Acces exercent leur emploi salarié et dispose d’un accompagnement social pour les préparer au mieux à une sortie vers un emploi durable ou une nouvelle formation à l’issue de leur contrat. Le numérique a l’avantage de présenter des débouchés valorisants, sur des métiers en tension, vrais tremplins vers l’emploi après avoir retrouvé une assise professionnelle. »
Cette entreprise bénéficie de toute la compétence du groupe ARES dans l’insertion et de l’excellence d’Accenture pour les processus métier, la technologie et les opérations. Vincent Fauvet souligne que l’alliance de compétences entre des entreprises privées pointues dans leur domaine et des acteurs de terrain, entrepreneurs sociaux ou associations, ouvre sur des collaborations nouvelles tout à fait intéressantes, chacun apportant sa compétence propre. Devant la pertinence de ce type de partenariat, ARES et Investir &+ ont lancé avec le groupe d’insertion Vitamine T et le collectif d’entrepreneurs Yoobaky Ventures l’initiative SocialCOBizz, qui promeut le modèle de Joint-Ventures Sociales.
« Acces est un exemple de Joint-Venture Sociale, car elle résulte de l’association d’un acteur Corporate avec son expertise métier et d’un acteur associatif disposant d’une compétence reconnue sur une problématique sociale, l’insertion par le travail dans le cas présent. Cette conjugaison des savoir-faire respectifs permet de trouver des solutions inédites. SocialCOBizz souhaite faciliter ce type de rencontre et d’alliance. C’est pour cela que nous mettons à disposition une boîte à outils, un pack méthodologique pour créer et développer des JV sociales. Comme nous sommes en présence de modèles encore émergents, il est fondamental de pouvoir les observer, les documenter, pour approfondir l’analyse et diffuser les retours d’expériences des pionniers. Nous souhaitons que tout le monde puisse s’inspirer de nos ressources en libre accès, pour les perfectionner et créer de l’impact. »
« La fraternité, ça ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. »
Les questions/réponses avec la salle sont l’occasion pour François Marty de préciser la philosophie qui sous-tend la manière de « faire du social » du Chênelet, loin de la relation aidants-aidés qui a souvent cours dans le secteur. Avec les personnes en insertion qui travaillent pour le groupe Chênelet, il refuse d’être donneur de leçons. Il exige que l’on mette le meilleur de la société et de l’entreprise pour servir les plus démunis. « Il faut le
meilleur de la société pour aider les plus pauvres, et pas des méthodes de bras cassés pour aider des bras cassés ! Cela amène à l’un des piliers oublié de notre devise républicaine : la valeur fraternité. La fraternité demande d’entrer en relation avec l’autre, de prendre en compte ses besoins, ses attentes. La fraternité, ça ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.
Attention, il ne s’agit pas de troquer la fraternité contre une espèce de soupe gentillette et un peu niaise ! On est très clair avec les personnes en contrat d’insertion chez nous. On leur demande de respecter le contrat de travail. Mais sans attendre d’eux qu’ils aillent au-delà. Ils ne viennent pas chez nous pour la solidarité ou toute autre vertu. Nos évaluations sont très factuelles. Pour le respect des règles, on utilise l’image suivante. Comme au foot, il y a des hors-jeu. A gauche du terrain, c’est le hors-jeu comportemental : propos machistes, insultes, violence et à droite c’est le hors-jeu technique par rapport à ce qui est demandé sur le poste de travail. On ne veut ni l’un ni l’autre. Ni du gros vulgaire qui travaille bien ni du gentil qui ne fout rien.
Notre société a mis en place des systèmes de travail qui excluent les gens cabossés. Chez nous, la fraternité, c’est inventer des trucs pour que ces personnes puissent travailler. Dans la scierie par exemple, on a remplacé les machines avec des tableaux de bord d’ingénieurs où il fallait plus d’un an pour former quelqu’un. C’est trop long et trop fastidieux. On a maintenant des machines qui se commandent avec un joystick, comme sur les jeux vidéo où beaucoup excellent ! Et en trois jours, nos gars avaient appris à scier des troncs d’arbre. Ça, pour moi, c’est de la fraternité. La fraternité est obligatoirement innovante, car elle implique la relation. Une relation dans laquelle il ne se passe rien n’est pas une relation. »
Les entrepreneurs sociaux et ceux qui les accompagnent ont en commun d’avoir fait le choix de chemins de traverse, souvent moins fréquentés, d’oser aller à contre-courant pour innover au service du bien commun. A partir du besoin des personnes. Mais sans jamais se substituer à leur responsabilité et à leur liberté. Cet équilibre demande une juste conscience de l’apport de chacun pour réinventer la relation aidant / aidé. C’est ce que propose Investir &+ dans sa relation avec les projets qu’il finance et accompagne. C’est ce que le groupe Chênelet vit avec ses salariés en insertion ou les locataires de leur logement.
Une citation de Michel Audiard résume bien ces pionniers de l’impact social : « Heureux soient les fêlés car ils laisseront passer la lumière. »