L’entreprise du XXIe siècle sera engagée ou elle ne sera plus !

« L’engagement social des entreprises n’est plus seulement un levier pour attirer les talents, conquérir des marchés ou accéder à de nouveaux financements. Il est devenu une exigence qui met en concurrence toutes les entreprises dans leur capacité à mobiliser leurs collaborateurs et parties prenantes. »

Dans la lignée de nombreux articles de ce blog pour décrypter l’émergence de nouveaux modèles qui réconcilient économie, société et entreprise – que ce soit par la transformation humaine et managériale des organisations ou la construction de modèles hybrides d’impact sociétal –  une tribune de Bernard Gainnier, président de PwC France, publiée dans Les Echos pose la question de l’engagement de l’entreprise comme condition de sa pérennité. Ses propos explicitent bien la convergence entre le nouveau rôle « contributif » ou à « impact positif » des entreprises vis-à-vis de la société, l’importance de réinventer les modèles de croissance et de création de valeur et le rôle essentiel de l’engagement des collaborateurs autour de projets porteurs de sens.

Bernard Gainnier est le président pour la France et l’Afrique francophone de PwC – PricewaterhouseCoopers, l’un des quatre grands cabinets d’audit et de conseil dans le monde. L’accompagnement de nombreuses entreprises dans le monde lui donne un poste d’observation de premier rang sur les évolutions des entreprises et de leurs interactions avec la société. Après une phase de transformation culturelle et des métiers de PwC, Bernard Gainnier veut aujourd’hui faire de ce cabinet une « entreprise à mission », avec une stratégie qui s’articule autour de trois axes : expérience client réinventée, expérience collaborateur unique et engagement sociétal.

Il y a vingt ans, les entreprises devaient prendre le virage de la transition digitale alors que beaucoup de dirigeants ne voyaient pas encore la manière dont la révolution Internet allait bousculer leurs métiers, les attentes des consommateurs et l’émergence de nouveaux acteurs sur leur marché. Certaines ont accumulé du retard, d’autres ne s’en sont pas remises. Aujourd’hui, la révolution en cours est celle du sens, des valeurs, de l’impact positif. Le caractère « contributif » de l’entreprise sera l’élément distinctif des organisations qui seront « choisies » par leurs clients et leurs collaborateurs.

La raison d’être comme nouvel axe de différenciation et le fait qu’il ne peut y avoir de finalité sans impact illustraient d’ailleurs notre article Entreprise, objet d’intérêt collectif : le sens au service de la performance ? Simon Sinek auteur du livre Start With Why met d’ores-et-déjà son affirmation au présent de l’indicatif : « Les consommateurs n’achètent pas ce que vous faites, ni comment vous le faites : ils achètent la raison pour laquelle vous le faites. »

C’est donc un enjeu de survie. C’est aussi un défi de cohésion sociale, condition fondamentale pour construire sur le long terme. Cela passe évidemment par une synthèse nouvelle et certainement plus personnelle du rôle de l’entreprise au-delà de la seule création de valeur économique par ses plus hauts dirigeants.


« Créer de la valeur, c’est vital pour les entreprises. On pense depuis longtemps que le profit est l’ultime finalité de l’entreprise, et la satisfaction de l’actionnaire, son but suprême. Heureusement, les temps changent. Le débat en France sur la raison d’être des entreprises a permis de porter cette question majeure au cœur du débat public. Le profit, c’est capital, mais désormais la condition supplémentaire nécessite qu’il soit couplé avec la notion de bien social, avec le sens du long terme. Elle empêche ainsi la désagrégation sociale et l’avènement de politiques populistes.

Les entreprises doivent se repenser, car elles ne sont pas en dehors de la société, elles sont la société. Et leurs actions influent de mille façons sur l’organisation sociale. Elles se composent avant tout de citoyens qui ont des convictions et des aspirations sociales et citoyennes déterminées. Elles ont donc aussi des comptes à rendre à la société en même temps qu’une mission vis-à-vis d’elle : servir l’intérêt général avec les moyens qui sont les leurs (humains, financiers, technologiques…).

Oui, les temps changent. Même les fonds de pension, naguère obnubilés par le retour sur investissement financier immédiat, font leur mue et insistent sur cette nécessaire vocation sociétale. Le concept d’investissement responsable, de finance éthique entre dans les mœurs. Gare à tous ceux qui restent aveugles à ces évolutions, ils risquent de le payer cher dans les années à venir !

Les temps changent, mais les mentalités résistent encore au changement. On peut encore entendre dans certaines entreprises le management s’exclamer : « Nous ne sommes pas une ONG… Notre rôle est de servir nos clients, point final… » Combien de dirigeants et de managers freinent encore des quatre fers quand leurs collaborateurs décident de donner de leur temps, de leur énergie et de leurs compétences au profit d’une association caritative ? Il m’arrive encore d’entendre que « le pro bono, c’est du temps perdu ; s’ils souhaitent jouer les bons samaritains, les collaborateurs n’ont qu’à le prendre sur leurs congés ou leur temps de loisir… »

Ces schémas de pensée n’ont plus leur place dans le monde qui vient. Car nous devons faire véritablement de l’entreprise une solution et non un problème.

La résistance au changement est réelle, et la technologie n’y change rien. Elle n’est qu’un moyen, un outil très performant au service de l’humain et non un but ! N’attendons pas du numérique qu’il apporte une solution miracle. C’est une illusion, même si elle est ancienne.

Il n’y a pas de remèdes miracles, mais il y a un facteur clé au changement, qui agit comme une lame de fond : les nouvelles générations. Elles exigent de leurs aînés et « supérieurs hiérarchiques » qu’ils aient une vision, une exemplarité, une fibre sociale et des engagements au service de tous et de chacun. Faute de quoi ils s’impatientent, se démobilisent et vont chercher ailleurs un nouveau modèle d’inspiration. Chaque jour, ils nous challengent, nous bousculent pour la bonne cause, nous enjoignent de changer et de faire évoluer nos modes de management afin que nos entreprises aident la société à changer !

C’est une erreur de stigmatiser l’hyper-individualisme de notre société et l’égoïsme de ces jeunes. Rien n’est plus faux. Ils savent s’engager, ils veulent s’engager pour des combats qui ont du sens – et avec pragmatisme, en se lançant par exemple dans des actions de mécénat de compétence. Ils doivent être encouragés par l’entreprise et par toutes ses parties prenantes !

Le jour viendra, que je crois proche, où une entreprise sera mise au ban si elle n’agit pas pour le bien commun, et où les marchés eux-mêmes sanctionneront une telle apathie coupable. « Notre valeur n’est pas déterminée par notre niveau de revenu et de patrimoine, mais par le niveau auquel nous servons les autres », disait Paul Allen, le cofondateur de Microsoft. Chacun peut adopter à son échelle cette maxime.

Une entreprise dépourvue d’ambition collective et solidaire sera bientôt vouée à l’échec. L’avenir passe par la libération des énergies incroyables qui y foisonnent. En définitive, l’entreprise du XXIe siècle sera engagée ou elle ne sera plus. Ce n’est pas tout à fait l’Everest à gravir, mais c’est une face nord encore à conquérir. Je suis certain que nous serons bientôt de plus en plus nombreux à l’emprunter ! »


Pour accompagner les pionniers et favoriser l’identification de ces nouveaux modèles conjuguant performance économique, écologique et sociale, de nouveaux écosystèmes se mettent en place. A ce titre, il faut souligner l’initiative Pact for Impact lancée par la France lors d’un sommet à Paris les 10 et 11 juillet 2019 pour créer une alliance mondiale pour une économie sociale et inclusive.

Le Manifeste Pact for Impact précise que pour accompagner les transformations profondes de nos sociétés en les rendant plus justes économiquement et socialement, en réduisant les doutes et replis qui les traversent, il faut favoriser le partage d’expérience et la coopération et permettre l’émergence de solutions de proximité ancrées dans les territoires. Il s’agit d’atteindre collectivement les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies en promouvant des solutions innovantes permettant le passage à l’échelle en réponse à ces défis.

Christophe Itier, haut-commissaire à l’Economie Sociale et Solidaire et à l’innovation sociale, initiateur de ce projet, insiste sur l’urgence à trouver des solutions à nos défis climatiques, sociaux et démographiques à l’échelle de la planète. Il est convaincu que les solutions nouvelles naîtront de la coopération entre les politiques publiques, le monde économique, la finance et les entrepreneurs sociaux : « Face aux nombreux défis écologiques et sociaux, présents et futurs, nous avons la volonté de créer une nouvelle coalition avec tous les acteurs étatiques et la société civile, de porter au plus haut niveau une vision politique, de forts engagements et des mesures concrètes pour accélérer le développement de l’économie sociale et inclusive au niveau mondial niveau, afin d’élargir les solutions qu’il apporte au niveau local, et d’en faire un pilier de l’économie de demain. »

Les clés d’une gestion hybride réussie

Dans son numéro de Août/Septembre 2019, la Harvard Business Review publie un article de quatre enseignants-chercheurs sur la manière d’allier durablement efficacité économique et performance sociale et environnementale en entreprise en décrivant « les clés d’une gestion hybride réussie. »  > télécharger l’article

« Les entreprises sont poussées à changer, à mettre en sourdine leur quête exclusive du profit et à s’intéresser davantage à leur impact sur leurs salariés, leurs clients, les collectivités et l’environnement. Pratiquer la responsabilité sociale de l’entreprise – RSE – à la marge ne suffit plus, car les enjeux sont trop nombreux et importants : croissance intenable des inégalités, preuves de plus en plus nombreuses des effets dévastateurs du changement climatique, prise de conscience par les investisseurs du conflit entre la rentabilité à court terme et le développement durable. »

Les auteurs ont étudié dans le monde entier pendant une dizaine d’années divers exemples d’organisations poursuivant simultanément des objectifs sociaux et financiers. Ils démontrent que celles qui réussissent sont celles qui adoptent ce qu’ils appellent une gestion hybride, qui place la création de valeur économique et la valeur sociale au cœur de l’engagement et des stratégies de leur organisation.

Ils décrivent quatre pratiques managériales clés pour allier performance économique ET sociale :

  1. Se fixer des objectifs à la fois économiques et sociaux – au-delà de l’affichage d’une ambition globale mais pour s’engager véritablement autour de la double mission de l’entreprise auprès de l’ensemble de ses parties prenantes – et évaluer régulièrement leur réalisation conjointe (ce qui implique de trouver les bons indicateurs de suivi de la performance sociale) ;
  2. Structurer l’entreprise pour bien identifier et coordonner les liens entre activités créatrices de valeur sociale et celles de valeur marchande, avec des espaces d’arbitrage pour gérer les inévitables tensions entre ces deux dimensions ;
  3. Recruter et sociabiliser leurs collaborateurs pour qu’ils soient alignés au principe de double objectif et qu’ils y contribuent : formations, rituels, évaluation, …
  4. Incarner cette double mission dans l’exercice du leadership.

A quoi sert la « raison d’être » dans les entreprises ?

En complément, le site français de la Harvard Business Review propose une chronique Jean-Florent Rerolle et Bertrand Valiorgue qui revient sur l’utilité des raisons d’être choisies par les entreprises qui se positionnent ainsi sur des questions d’intérêt général. Les auteurs soulignent le caractère essentiel de sa formulation : « L’inscription d’une raison d’être n’est pas un acte banal car elle constitue le socle du cas d’investissement proposé aux actionnaires. Pour qu’elle ait un sens et une portée réelle, elle doit être la clé de voûte d’un projet stratégique sur le long terme. »

Ils s’appuient notamment sur les travaux du professeur de stratégie Todd Zenger pour identifier les trois piliers donnant de la consistance et de la matérialité à une raison d’être.

  1. Redéfinir son « intention stratégique » et les objectifs poursuivis, c’est-à-dire proposer une contribution d’intérêt général au sein d’un secteur donné ;
  2. Se baser sur les actifs stratégiques tangibles et intangibles de l’entreprise et leur mise en tension ;
  3. Repenser les frontières de l’entreprise et les interactions avec les différentes parties prenantes.

Ce dernier point est essentiel : travailler aux frontières, aux périphéries des écosystèmes habituels de l’entreprise. « Les entreprises ont depuis longtemps appris à considérer les attentes de leurs parties prenantes afin de sécuriser la poursuite de leur projet économique. Inscrire une raison d’être implique de renouveler profondément les rapports entretenus avec elles. Ce travail doit permettre de prendre la mesure des impacts de l’entreprise bien au-delà de ses frontières économiques et organisationnelles. »

« 10% pour tout changer »

Dans son livre « Tipping Point » le journaliste d’origine anglaise Malcolm Gladwell, indique que 10 %, c’est le point de bascule d’une communauté engagée pour faire changer la norme sociale et entraîner dans son sillage la majorité. C’est d’ailleurs dans cette optique que le gouvernement à travers son haut-commissaire à l’ESS Christophe Itier a lancé fin mai 2019 la démarche « 10% pour tout changer » pour rassembler une communauté d’entreprises engagées pour susciter une bascule dans le passage à l’action concret et massif d’une révolution écologique et sociale et passer un cap dans cette révolution entrepreneuriale.

 

Face au nécessaire « changement de logiciel » pour transformer nos représentations trop cloisonnées entre l’économique et le social, fédérer les entreprises engagées dans une économie plus inclusive et soucieuse des problématiques environnementales : entreprises à mission, B Corp et autres entreprises contributives est essentiel pour atteindre rapidement un point de bascule. Après la transformation digitale, la révolution entrepreneuriale qui met le progrès social et environnemental au cœur de la performance doit amener le changement systémique dont nos sociétés ont tant besoin.

Reprenant la définition de la RSE proposée par Emery Jacquillat de la CAMIF « Redonner du Sens à l’Entreprise », le MEDEF vient de publier un rapport intitulé ainsi qui illustre ce nouveau positionnement de la RSE comme une manière de propulser l’entreprise dans sa stratégie et dans sa capacité à répondre aux besoins de ses clients (> à télécharger ici) : « Il y a un mouvement fort de la société que l’entreprise doit être capable d’anticiper. La RSE est un moyen pour l’entreprise de s’interroger sur son avenir, sur l’innovation, sur sa façon de remplir sa mission auprès de ses clients et de ses consommateurs. C’est une manière dynamique et positive de lancer une démarche stratégique. La RSE est au cœur du métier. Quand vous travaillez sur la RSE, vous travaillez sur les fondamentaux de votre métier. La plupart des développements nouveaux se font en termes de RSE : c’est un facteur d’innovation absolument considérable. »

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A propos Nicolas Cordier

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