L’entreprise compatible avec le social business ? Question au combien légitime dès lors que l’on prétend que les grandes problématiques de ce monde, pauvreté, éducation, pollution ou maladie pourraient être éradiquées par des entreprises privées – souvent cataloguées dans la catégorie des méchants en quête exclusive de profit – et non plus par les pouvoirs publics, des ONG ou des acteurs exclusivement focalisés sur le social.
C’est tout le combat de Muhammad Yunus (voir l’article Pour une économie plus humaine), premier promoteur du social business et qui crée une entreprise nouvelle à chaque nouveau problème auquel il s’attaque. Cet homme qui vise à remiser la pauvreté dans un musée reste un pragmatique quant aux solutions à mettre en œuvre avec une confiance indéfectible en la créativité dont l’Homme est capable. Des joint-ventures de nature nouvelle, associant grandes entreprises et acteurs sociaux, voient le jour et s’attaquent à la résolution de problématique précise, dans une logique « no loss, no dividend », c’est-à-dire que pour être durables, ces entreprises se doivent d’être rentables, elles génèrent des profits, mais leur finalité étant sociale (résoudre un problème), elle ne redistribuent pas de dividendes aux actionnaires.
Alors, « pays des bisounours », social washing d’entreprises se rachetant une bonne conscience, nouveau camouflage des Chicago boys héritiers du néo-libéral Friedman ? Les sceptiques sont nombreux. Tiraillé entre utopie et réalisme, nous pouvons tous garder un certain scepticisme… Il nous est d’ailleurs parfois plus confortable de nous préserver derrière une vision manichéenne où les entreprises ne peuvent qu’être centrées sur la maximisation de leurs profits au détriment de leur environnement et qu’à l’opposé certains acteurs désintéressés se chargent de réparer les dégâts comme ils peuvent… C’est ce dont témoigne Emmanuel Faber, DG de Danone, dans ce court extrait vidéo publié dans un article précédent.
« Dénoncer, c’est bien. Analyser, c’est mieux. La minute de vérité c’est, et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?« (M Bellet) Cette invitation à nous rendre acteur est également illustrée par la définition du mot résister d’Ignacio Ramonet, fondateur d’ATTAC et promoteur du Forum social mondial : « Résister, c’est rêver qu’un autre monde est possible. Et contribuer à le bâtir. » N’oublions pas la deuxième partie de la phrase !
Les différentes illustrations de ce blog cherchent à nourrir les manières de construire un nouvel art de vivre ensemble, d’en être chacun acteur, avec le regard porté sur ce que nous souhaitons devenir. Let’s be both, dreamers and doers !
L’entreprise compatible avec le social business, c’était justement l’objet de cet article dans les pages Économie de Libération en février 2010, que je reprends ici en intégralité :
Écrit par Bénédicte Faivre-Tavignot et Frédéric Dalsace, respectivement directeur exécutif et professeur de la chaire Social Business Entreprise et Pauvreté d’HEC lancé en mars 2008.
L’entreprise compatible avec le social business ?
La question n’est pas nouvelle : les citoyens peuvent-ils faire confiance aux entreprises ? Face aux récents engagements sociétaux pris par certaines d’entre elles, son actualité est pourtant brûlante. Citons le cas du Libé des solutions (24 décembre 2009). Reporters d’espoirs y révélait l’existence d’un action tank créé autour de Martin Hirsch par la chaire Social Business Entreprise et Pauvreté de HEC, pour favoriser le lancement d’expérimentations visant à réduire la pauvreté en France par des grandes entreprises françaises. Aucune précision n’était apportée sur le nom des entreprises, la nature des projets ou l’état d’avancement. La réaction des internautes fut immédiate, celle de MNO51 semble représentative : «C’est juste pour marquer sur leurs emballages leurs bonnes œuvres et ainsi se faire un coup de marketing.» Cette réaction semble caractéristique d’une situation de «double injonction» à laquelle sont confrontées les entreprises. Qu’elles restent fidèles à la formule de Milton Friedman : «The business of Business is Business», et elles sont accusées d’autisme face aux attentes de la société. Qu’elles développent des projets de social business à rentabilité nulle, et elles sont accusées de «social washing» et de manipulation de l’opinion publique. Comme le disent les Anglo-Saxons : «Damned if You Do, Damned if You Don’t.» Comment y voir clair ? Comment distinguer le véritable engagement sociétal (en supposant qu’il soit possible et efficace) du coup de pub ? Peut-être pourrions-nous ici identifier une série de critères simples.
D’abord l’essence : les initiatives sociétales ont-elles pour objectif de «racheter» ou de camoufler les effets négatifs induits par l’activité de l’entreprise ? On peut penser à certains organismes de crédit à la consommation qui, par construction, peuvent entraîner une fraction de leurs clients dans le piège du surendettement. La création de richesse économique ne peut à nos yeux légitimer une création de pauvreté.
Ensuite vient la cohérence. L’engagement sociétal de l’entreprise est-il cohérent avec ses pratiques générales ? Ou n’est-ce qu’un leurre destiné à faire oublier que les actionnaires s’approprient la totalité de la valeur créée ? Avant même d’apprécier ce type d’engagement, il convient de vérifier la conduite de l’entreprise sur des points essentiels comme la réduction des externalités inhérentes à son activité (la pollution), le juste paiement des impôts dans chaque pays ou le traitement équitable de sa filière professionnelle.
Puis se pose la question de l’efficacité : l’engagement de l’entreprise s’inscrit-il dans le cœur de son activité ? Ou se contente-t-elle de s’acheter une conduite en engageant une action sans lien avec son métier ? Aligner son engagement sociétal avec son activité permet à l’entreprise de maximiser à la fois l’impact de son action et l’adhésion de ses personnels à cette action.
C’est alors que la continuité de l’engagement entre en jeu. L’engagement sociétal ne peut se résumer à un effet d’annonce ; il devient crédible au fil des années. Les entreprises ne devraient communiquer que sur des actions concrètes, et non sur des intentions.
Enfin, l’amplitude de l’engagement peut être prise en considération et mise en regard non du chiffre d’affaires, mais de la rémunération des actionnaires. Une phase d’expérimentation est souvent nécessaire mais, au-delà, s’agit-il de l’«épaisseur du trait» destinée à acheter la paix sociétale ou d’un engagement qui pèse sur les ressources et doit être expliqué à ces mêmes actionnaires ?
Ni opprobre systématique ni admiration naïve : le discernement en matière d’évaluation de l’engagement sociétal des entreprises est nécessaire. Consommateurs, salariés et citoyens doivent être clairvoyants. Il s’agit d’encourager les entreprises qui s’exposent vraiment et de sanctionner celles qui ne font qu’obéir à l’air du temps. De notre aptitude à discriminer le vrai du faux dépendra ultimement la qualité de l’implication des entreprises sur les questions sociétales.