« Le goût de l’autre » : la crise est une chance pour réinventer le lien nous dit Elena Lasida

Crise économique et financière, raréfaction des ressources naturelles, dérèglement climatique : le monde actuel vit de profondes mutations. Face à ce qui apparaît comme des Un monde en mutation, Nicolas Cordierentraves à notre développement et à notre bien-être, l’économie fait partie des boucs émissaires les plus fréquents ; l’entreprise qui en est son ambassadeur est alors souvent accusée de tous les maux.

Mais, si au lieu de la diaboliser, nous revisitions le rôle de l’économie dans la société ? Dans nos sociétés de consommation, elle serait réduite à la création de biens. Ce serait oublier la vocation première de l’économie : créer du lien.

La crise, une chance pour réinventer le lien !

Et si c’était justement à partir du manque que pouvait naître la nouveauté ? Si c’était là l’occasion de réinventer l’économie ? La penser plutôt en termes de qualité de vie que de quantités produites, penser la production plutôt en termes de Le travail invisible, Pierre-Yves Gomezcréation collective que de fabrication individuelle. Nous retrouvons ici certains fondements énoncés par Pierre-Yves Gomez dans son ouvrage « Le travail invisible » : au-delà de la dimension ‘objective’ et souvent surdimensionnée du travail, retrouvons les dimensions ‘subjectives’ et ‘collectives’ qui constituent l’essence même du travail > voir l’article Libérer l’initiative de tous, une manière de rendre le travail visible et sortir de la crise !

Livre Le goût de l'autre, Elena LasidaElena Lasida, économiste uruguayenne et professeur à l’Université catholique de Paris, a publié il y a (déjà !) trois ans un livre remarquable qui nous plonge au cœur d’une expérience de vie : l’économie ! Son titre est d’ailleurs à l’origine de nombre de nos engagements et de nos projets : « Le goût de l’autre » et son sous-titre comme une manière de raconter l’économie autrement : « la crise, une chance pour réinventer le lien. »

L’étymologie grecque du mot économie, oikos nomia, fait référence à la gestion de la maison, et plus largement à l’art de vivre ensemble. Nous sommes sans doute beaucoup à regarder autour de nous et à ne pas voir beaucoup d’art, pas beaucoup de vivre et pas beaucoup d’ensemble… L’invitation à construire un autre monde, à vivre l’économie autrement, à penser « à côté » pour un art de vivre ensemble renouvelé est plus que jamais d’actualité. On oppose souvent l’économique et le social alors que c’est une même réalité. L’économie est le « lieu où se bâtit la vie individuelle et collective de chaque personne. » C’est tout à fait dans la lignée de ce que nous partageait Emmanuel Faber, vice-président de Danone, lors de la première soirée Vivre l’économie autrement en février 2012.

« Le goût de l’autre » invite à habiter l’économie. Et réciproquement, l’économie révèle et suscite aussi le goût de l’autre : « Le meilleur de l’économie se révèle dès qu’elle accepte de quitter ses certitudes et ses régularités. C’est à travers les frontières et en accueillant le radicalement nouveau que l’économie devient lieu de rencontre et suscite de la passion pour la vie. […]

Plutôt qu’un moyen de satisfaire des besoins, l’économie apparaît comme un lieu où se construit la société. Plutôt qu’un système pour réguler la circulation des biens, elle devient un facteur de médiation sociale. Plutôt qu’une source de richesse monétaire, elle se révèle être une source de richesse relationnelle. Évidemment, elle est concernée par les besoins, les biens et la monnaie, mais sa finalité première est au-delà. Elle sert avant tout à penser le vivre-ensemble. Elle révèle et suscite le ‘goût de l’autre’. »

Dans cette vidéo (4’27 »), Elena présente son livre et son invitation à déplacer notre regard sur l’économie, trop souvent diabolisée, pour mettre en valeur la capacité de l’être humain à créer du nouveau :

Mettre l’économie en résonance avec la vie.

Commencer à se déplacer, aller à la frontière, c’est d’abord oser changer de paradigme, franchir des barrières mentales. C’est une bonne nouvelle car ainsi l’économie n’est pas seulement réservée aux responsables d’entreprise ou à ceux qui gèrent la finance : contribuer au mieux vivre ensemble peut être au cœur des préoccupations de chacun…

Elena Lasida by Nicolas CordierElena Lasida vient d’Uruguay, ce petit pays d’Amérique latine, charnière entre les deux géants continentaux que sont le Brésil et l’Argentine, ce qui a ancré en elle ce sentiment d’être à la frontière… Elle relate d’ailleurs très bien combien la frontière, c’est une manière de regarder le monde et les autres : à la fois de l’intérieur et de l’extérieur, à la fois comme le même et comme le différent, à la fois comme richesse et comme menace :

« La frontière est toujours une expérience de « marge ». Ce qui est à la marge ne fait pas nombre, mais, sur la marge, on écrit souvent l’essentiel. La marge préserve le centre, le délimite et en même temps le fait bouger. La frontière est une « limite » avec toute l’ambivalence qui la caractérise : barrage et ouverture au radicalement nouveau. »

Le « manque fondateur », une ouverture qui permet d’aller plus loin

En quittant son pays pour étudier et enseigner en France, Elena expérimente cette expérience humaine fondamentale de cette terre quittée « toujours présente par son absence » : le manque, constitutif de notre humanité profonde, expérience indispensable pour se mettre en route, pour que naisse le désir… La finitude nous ouvre à la transcendance, la limite nous transforme en créateurs. En effet, la confrontation avec la différence nous permet de sortir du cadre, d’appréhender de manière nouvelle, de se reconnaître de façon renouvelée également.

Cette conception de la vie qui se construit à travers les morts qu’elle traverse, où chaque échec peut mettre en mouvement, où chaque désillusion peut ouvrir de nouveaux possibles s’applique également à celle des organisations : les crises qui interrogent ses fondamentaux et ses manières d’opérer sont des opportunités de remise en cause et de renouvellement permanent. Sans crise, une institution risque de mourir par rigidité !

L’approche originale de ce livre réside dans l’interrogation sur le sens de l’économie qui prend ses sources dans des récits d’expérience personnelle et d’activités associatives que l’auteure relie alors à une théorie économique prolongée d’un parallèle avec un récit biblique. Cette combinaison inédite a le mérite de nous réinterroger sur le sens profond de ce que nous voulons construire, avec des chapitres aux intitulés significatifs : l’économie, un lieu de relation ; une alliance à tisser ; une communauté à construire ; source d’identité ; lieu d’utopie… et souvent, le fil rouge du manque fondateur enrichit ces ouvertures vers l’avenir.

Le développement durable : une invitation à faire durer notre capacité créatrice

L’expérience personnelle fondamentale de la limite trouve un parallèle au niveau de l’économie dans la rareté des ressources. Le défi écologique dont l’acuité s’est renforcée ces dernières années interroge ainsi fortement notre système de production et de consommation. Il faudrait plusieurs planètes Terre pour subvenir aux besoins d’un modèle de développement qui n’est pas « soutenable ». La fin programmée de certaines ressources naturelles remet en cause un modèle unique de développement qui compromet les générations futures, au point que le développement initialement symbole de progrès et d’amélioration de la qualité de vie est aujourd’hui associé à une menace pour notre avenir commun. Produire et consommer autrement devient un impératif qui amène à des questions de sens et de finalité.

Elena propose ainsi une vision du développement durable définie par « l’augmentation de la capacité de chacun à se sentir créateur. »  Au-delà de la qualité de vie mesurée par le degré de satisfaction de besoins basiques (alimentation, santé, logement), elle souligne ce besoin essentiel de la vie humaine : la capacité d’être créateur. « C’est le fait de participerfaire durer notre capacité créatrice à la création de biens, plutôt que celui d’en bénéficier, qui permet de considérer une vie comme véritablement humaine. […] Dès lors, rendre le développement « durable » ne consiste pas tellement à faire durer nos acquis, mais plutôt à faire durer notre capacité créatrice. […] Rendre le développement durable ne consiste pas à prolonger la durée du modèle actuel, mais plutôt à inventer un autre modèle de développement, un développement pensé à partir de la place que chaque personne y occupe plutôt que de sa capacité à accéder aux biens nécessaires. »

Construire un mieux-vivre ensemble est un impératif !

Accueillir la nouveauté dans notre manière de construire un autre art de vivre ensemble passe par un déplacement, un aller vers la périphérie, pour réinventer de nouveaux modèles. Dans le monde de l’entreprise, de nombreuses représentations mentales doivent être levées pour oser intégrer ces questions essentielles comme partie intégrante de la mission institutionnelle de ses dirigeants, et pas seulement au niveau de leur réflexion personnelle privée.

Loin de théories économiques « de spécialiste », Elena nous propose dans « Le goût de l’autre » une considération de l’économie qui nous concerne tous :

« L’économie concerne la vie dans ce qu’elle a de plus matériel mais aussi de plus existentiel. L’économie concerne le sens de la vie et pas seulement la satisfaction de ses besoins. L’économie est donc un lieu de vie, un lieu où l’on apprend à vivre, un lieu où l’on construit sa vie personnelle et sa vie avec d’autres. L’économie est certes un moyen plutôt qu’une finalité, mais un, moyen qui traduit les aspirations les plus profondes de chacun et, plus encore, un moyen qui nous oblige en permanence à définir nos finalités et nous apprend ainsi à faire des choix. »

« Associée au vivre-ensemble, l’économie devient ainsi un lieu d’alliance et pas seulement de contrat, un lieu de confiance et pas seulement de stratégie, un lieu d’utopie et pas seulement de technique. »

 

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A propos Nicolas Cordier

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4 commentaires pour « Le goût de l’autre » : la crise est une chance pour réinventer le lien nous dit Elena Lasida

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