Les projets de social business, véritables laboratoires d’innovation

Les questionnements actuels sur le rôle de l’entreprise remettent les préoccupations sociétales au cœur du débat sur la participation du secteur privé à des activités historiquement dévolues à l’État et ses services publics ou aux organisations sans but lucratif. Du mécénat à la création de fondations d’entreprise ou plus récemment l’inclusion de problématiques sociales au cœur du métier de l’entreprise, les formes de cet engagement sont variées.

Social business, laboratoire d'innovation socialeEn observant l’émergence de projets de Social Business, nous constatons combien cette démarche inclusive peut s’inscrire durablement dans le modèle de développement d’entreprises privées. Dans l’interview de Bénédicte Faivre Tavignot dans Le Nouvel Economiste relayée ci-après, nous verrons que les organisations découvrent même que les social business sont de véritables laboratoires d’innovation.

Une prise en compte croissante de l’écosystème

De plus en plus d’entreprises privées se rendent compte qu’elles ne peuvent plus ignorer l’environnement socio-économique dans lequel elles évoluent. Un premier niveau d’engagement se trouve dans l’application d’une politique de responsabilité sociale (RSE). Cela passe dans un premier temps par la réduction des externalités négatives avec l’ensemble de ses parties prenantes sur les trois dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale. Certaines organisations plus volontaristes initient des actions de mécénat ou décident de la création d’une fondation d’entreprise en soutien d’une cause d’intérêt général. Ces fondations d’entreprise sont un lien privilégié entre les secteurs marchand et non lucratif. Leur nombre a été multiplié par 4 en France ces dix dernières années, où l’on en compte près de 300. Fruit d’une conception Logo IMS Entreprendre pour la Citénouvelle de la Responsabilité Sociale des Entreprises, l’intérêt général semble être l’inspiration première de ces structures à but non lucratif. IMS Entreprendre a beaucoup étudié ces dynamiques nouvelles et un article du Nouvel Economiste y est consacré > voir ici.

Co-création entre acteurs historiquement cloisonnés : pouvoirs publics, entreprises privées et acteurs sociaux de terrain

Etude Business & ImpactUne étude publiée ce 13 février par Ashoka-Accenture souligne l’importance de ces alliances nouvelles : « Business & Impact, sortir de la pauvreté en inventant de nouveaux modèles à la croisée du social, du privé et du public en Europe ». Fort du constat que plus de 50 millions d’européens n’ont pas leurs besoins essentiels satisfaits (énergie, santé, alimentation, logement ou emploi), l’idée d’une co-création ou hybridation du social et du business pour mieux servir les populations en difficulté est présentée comme inéluctable.

Dépassant le cadre de la RSE et de la philanthropie, la recherche de solutions innovantes pour ne pas demeurer spectateurs passifs devant des problématiques sociétales croissantes est de plus en plus le fruit d’une collaboration inédite entre les compétences de l’entreprise privée et la connaissance du terrain des entrepreneurs sociaux. Il s’agit notamment de repenser l’offre produit/service adaptée à des populations fragilisées.  Finalement, ces 50 millions de personnes pauvres représentent 220 milliards d’euros de dépenses ! Autre exemple : les 12 millions de personnes en situation de grande fragilité au niveau de leur logement constituent en Europe un marché de près de 125 milliards d’euros. L’étude Business & Impact constate : « Le développement de collaborations entre le monde du Business et du Social peut permettre l’émergence de modèles hybrides à même de mieux répondre à ces besoins, de créer de nouvelles opportunités de marchés pour les entreprises pionnières, de réaliser des économies pour la société et de créer de l’emploi. »

Ahoka Center Social & Business Co-Creation

Logo Ashoka Centre« Des collaborations innovantes, durables parce que rentables et porteuses d’impact social démultiplié » c’est la vision qui a sous-tendu la création du nouveau Ashoka Centre dans les locaux du Palais Brongniart à Paris précise Arnaud Mourot directeur d’Ashoka France, Belgique et Suisse. « C’est un centre européen de co-création largement ouvert à tous ceux, entrepreneurs sociaux, entreprises ou pouvoirs publics, qui désirent inventer des solutions à l’échelle des enjeux de la société. Il y est proposé d’y faire fructifier la notion de « chaîne de valeur hybride » : une chaîne de valeur croisant des « espèces » différentes pour obtenir, comme toute hybridation, un résultat renforcé! »

Le social business, un nouveau business model

Au-delà de la RSE ou du mécénat d’entreprise, qui demeurent à la périphérie du cœur de métier de l’entreprise, des organisations ont ainsi décidé de s’impliquer de manière plus décidée en inventant de nouveaux modèles qui concilient impératifs financiers et impacts sociaux et écologiques. Le Social Business va dans le sensMuhammad Yunus, Nicolas Cordier d’une réconciliation entre social et business, entre entreprises privées et acteurs sociaux, pour co-construire des solutions innovantes à des problématiques sociales. Ce courant est porté par Muhammad Yunus, prix Nobel de la Paix 2006 et grand innovateur social depuis la fondation du Grameen Bank au Bangladesh à la fin des années 1970.

Changement de paradigme avec le Social Business : la réconciliation de l’économique et du social !

Les deux termes – Social et Business – sont souvent fortement dissociés, tant sur un plan personnel qu’au niveau des organisations. La vision manichéenne où les entreprises ne peuvent être centrées que sur la maximisation de leurs profits au détriment de leur environnement et qu’à l’opposé certains acteurs ‘désintéressés’ se chargent de ‘réparer les dégâts comme ils peuvent’ est présente dans la conscience collective.

D’un point de vue individuel, le registre du social est généralement cantonné au domaine privé pendant que le business s’exerce sur le terrain professionnel. En forçant le trait, cette dichotomie reflète le manque d’unité entre le méchant businessman de la semaine et l’altruiste bénévole du week-end.

Résoudre une problématique sociale est ainsi naturellement associé au mécénat, aux fondations d’entreprise, au registre du don. C’est considéré comme une activité périphérique du cœur de métier de l’entreprise, consommatrice de ressources.

Le Social Business propose une inclusion toute différente (d’où la notion d’inclusive business) :

  • s’affranchir de l’enveloppe budgétaire par un modèle rentable ;
  • oser imaginer un changement d’échelle dans la résolution d’une problématique sociale ;
  •  réaffirmer l’importance des compétences et la passion des collaborateurs pour trouver des solutions inédites ;
  • construire en partenariat avec des acteurs de terrain.

L’entreprise est-elle compatible avec le Social Business ?

Cette question est légitime et sous-jacente dès lors que l’on prétend que les grandes problématiques de ce monde pourraient être éradiquées par des entreprises privées, souvent cataloguées dans la catégorie des ‘machines sans âme en quête exclusive de profits’ et non plus par les pouvoirs publics ou des acteurs sociaux.

Rapprocher ces deux notions génère souvent des propos marqués : « Cette vision n’est-elle pas plus celle du ‘pays des bisounours’, ou une sorte de social washing d’une entreprise se rachetant une bonne conscience ?… » Ce type de réaction, assez fréquente même dans des entreprises qui expriment un double projet économique et social avec une politique de partage du pouvoir, du savoir et de l’avoir affirmée, met en lumière la «double injonction» à laquelle sont confrontées les entreprises en général. D’un côté, lorsque les entreprises assument une vocation exclusive de maximisation des profits à reverser aux actionnaires, elles sont accusées d’autisme par rapport à la société qui les entoure. Dans le même temps, lorsqu’elles s’ouvrent à leur écosystème et y développent des projets à rentabilité nulle, elles sont immédiatement accusées de social washing voire de manipulation de l’opinion publique. Cette question a été abordée dans l’article « L’entreprise compatible avec le social business ? » 

Certains critères doivent légitimement pouvoir être associés à la cohérence d’un projet de social business au cœur de l’entreprise :

  • C’est une prolongation ou une ambition réaffirmée de sa mission d’entreprise ;
  • C’est dans ses valeurs et fondamentaux, dans sa culture et ses pratiques managériales ;
  • Cela rejoint son cœur de métier, les compétences de ses collaborateurs sont mises à contribution ;
  • C’est une co-construction avec des partenaires sociaux de terrain.

Une réelle envie de travailler dans une entreprise qui a des valeurs et les incarne !

Le sondage BVA réalisé en septembre 2012 pour Le Cercle d’éthique des affaires et La Poste repris dans l’article « Les salariés déplorent le manque d’engagement éthique des entreprises » illustre bien à la fois la forte attente d’un engagement visible et dans le même temps la mise en doute systématique des démarches éthiques. La sincérité doit être réelle et des actions concrètes doivent être mises en place pour valider dans les actes toute déclaration d’intention. Développer le capital éthique d’une organisation ne doit pas se résumer à l’expression de certaines valeurs qui ‘rassemblent‘ les hommes de l’entreprise. Pour être crédible durablement, attirer de jeunes talents et renforcer l’appartenance et l’engagement des collaborateurs, les actes doivent accompagner la parole et des possibilités d’engagement doivent être proposées.

Nouvel économiste Bénédicte Faivre Tavignot HECLe Nouvel Economiste, dans son numéro de septembre 2012, interviewait Bénédicte Faivre-Tavignot, directeur exécutif de la chaire “Social Business/Entreprise et Pauvreté” d’HEC Paris sur l’articulation entre entreprise et pauvreté et l’apport de Social Business comme vecteur et accélérateur des stratégies de l’entreprise. Nous reprenons ici intégralement cet article.

Comment les entreprises peuvent-elles s’attaquer à la pauvreté ?
On pense tout de suite au mécénat, mais on oublie que toute forme classique d’entreprise, lorsqu’elle crée des emplois et de la richesse, peut réduire la pauvreté. Entre ces deux extrêmes, il existe des modèles intermédiaires, que l’on appelle “à la base de la pyramide”. Ils visent, dans une logique avant tout de profit, à donner accès aux populations pauvres à des produits et services auxquelles elles n’accèdent pas. Un exemple connu est celui d’Unilever qui en Inde qui, par le biais de sa filiale Hindustan Lever, vend des dosettes individuelles de shampoing ou de lessive aux personnes qui vivent avec moins de 2 dollars par jour. L’impact sur la pauvreté de ce type de modèle est bien sûr d’autant plus fort que les produits et services vendus correspondent à des besoins fondamentaux.

Il y a enfin une nouvelle forme capitalistique de contribution à la réduction de la pauvreté qui se développe aujourd’hui : le social business. Il s’agit d’entreprises qui visent la maximisation de l’impact social, le profit n’étant qu’un moyen pour se développer et accroître cet impact. Au point que dans certaines approches, dont celle promue par Muhammad Yunus, les investisseurs acceptent de ne pas toucher de dividendes. Avec Yunus, Danone a été la première multinationale à se lancer dans le social business, au Bangladesh. D’autres entreprises lui ont depuis emboîté le pas : Veolia avec Grameen au Bangladesh, Essilor, SFR et Renault en France.

À quelles difficultés doit faire face une multinationale qui souhaite faire du social business ?
Les difficultés ne sont pas les mêmes dans les pays émergents et en France. Quand les multinationales décident de faire du social business dans les pays émergents, la première difficulté consiste à identifier des produits ajustés par rapport aux besoins des consommateurs. Bien souvent, elles essaient d’“adapter” leurs produits en les dégradant un peu. Résultat : ces produits restent trop chers et parfois trop sophistiqués ! Pour réussir à connaître les vrais besoins de ces consommateurs pauvres et éviter ce piège de l’“adaptation”, de véritables démarches d’immersion et de co-création de produits parfois radicalement nouveaux sont nécessaires. Parfois, il s’agit même de créer de nouveaux marchés. Par exemple dans le domaine de l’eau, Grameen Veolia vend de l’eau saine à bas prix à des personnes qui consommeraient sinon de l’eau pleine d’arsenic. Une autre difficulté est celle de la réplication des modèles à grande échelle. Pour avoir plus d’impact, ces social business doivent se déployer dans d’autres régions, d’autres pays. Mais comme chaque région a ses habitudes propres et ses traditions, le risque est alors d’avoir à repartir à chaque fois de zéro, et de ne pas parvenir à être rentable. Sans compter que l’objectif social rajoute encore des contraintes à l’entreprise et rend la rentabilité encore plus difficile à atteindre.

Mais alors, pourquoi faire du social business ?

Les entreprises qui lancent des social business le font pour développer de nouveaux marchés quand les marchés développés sont saturés, pour remotiver leurs salariés en quête de sens dans leur travail, mais aussi pour améliorer leur image. Le plus important, c’est pourtant que les entreprises découvrent que les social business sont de véritables laboratoires d’innovation. Travaillant dans une démarche sociétale, elles montent beaucoup plus facilement des partenariats avec des ONG, associations et pouvoirs publics, et rentrent dans une démarche de co-création qui les rend beaucoup plus créatives. Elles apprennent à fonctionner “en dehors du cadre”, à inventer des produits et des façons de faire radicalement différentes, qu’elles peuvent parfois répliquer auprès des populations plus aisées, dans une logique d’innovation inversée. Ainsi General Electric a-t-elle développé en Inde des électrocardiogrammes beaucoup moins coûteux que ceux habituellement fabriqués qu’elle vend maintenant aux États-Unis. Enfin, les entreprises qui lancent des social business ont compris qu’elles avaient un rôle à jouer dans la construction d’une nouvelle économie, plus inclusive et responsable, et elles savent qu’elles ne pourront pas prospérer dans un environnement dégradé.

Parlons de l’accueil qu’on réserve au social business : qu’en pensent notamment les ONG ?

Certaines ONG sont assez sceptiques et voient dans le social business une tentative d’instrumentalisation d’un système capitaliste uniquement centré sur la maximisation du profit pour les actionnaires. Cependant, nous voyons de plus en plus d’ONG intéressées par le social business : elles comprennent que les entreprises peuvent leur apporter beaucoup en termes de compétences tout en ayant des intentions droites et un vrai désir de contribution sociétale. Elles sont prêtes à collaborer avec ces entreprises quand elles identifient chez elles un souci de cohérence global. Elles perçoivent enfin dans le social business une alternative quasi indispensable à la baisse des subventions.

Le social business est-il en train de sonner le glas de la philanthropie d’entreprise au sens classique ?

Pas du tout ; la philanthropie reste indispensable dans un certain nombre de cas : l’humanitaire d’urgence, le monde du handicap, l’éducation… Et les social business sont parfois, surtout au début, des modèles hybrides, reposant sur une part de don et une part de modèle économique pérenne. Par exemple, Schneider Electric favorise l’accès à l’électricité en Inde et au Bangladesh, d’une part en formant des techniciens, sous un mode philanthropique, et d’autre part en vendant des lampes solaires. Cela dit, dans un certain nombre de cas, le social business présente l’intérêt de mieux valoriser l’argent de la philanthropie, en l’investissant dans des business qui sont alors autonomes et se développent sous une forme entrepreneuriale, plutôt qu’en le donnant une fois pour toutes.

Le social business lorsqu’il représente un projet cohérent avec la mission, les valeurs et le métier d’une entreprise est un puissant vecteur d’accélération et de renouvellement de ses stratégies. S’engager dans une démarche de vrai impact social est réalisable, et même souhaitable, pour être performant. La raison d’être essentielle d’une organisation réside dans la création de valeur pour la société dans son ensemble. Quand cette volonté de créer de la « valeur partagée » s’inscrit au cœur de la logique compétitive de l’entreprise, les projets de social business qui la portent constituent de véritables laboratoires d’innovation qui enrichissent l’ensemble de ses stratégies et la manière d’atteindre ses objectifs.

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A propos Nicolas Cordier

Social business intrapreneur, corporate changemaker, dreamer and doer, blogger on liberated compagnies, open innovation & how to be an actor in a changing world
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Un commentaire pour Les projets de social business, véritables laboratoires d’innovation

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