Gérer l’incertitude ! Faites-en votre alliée. Regards croisés de Marc Halévy sur le devenir de nos organisations…

« Trop plein de tâches, de contacts, de défis… Trop peu de temps et de certitudes… Tout devient de plus en plus complexe et rapide. Recentrez-vous sur l’essentiel : l’accomplissement de votre projet. Le reste n’est que bavardage. »

Avec ces quelques mots, Marc Halévy synthétise une réalité de notre monde que nous sommes beaucoup à partager – cette impression d’un trop plein d’activités dans un environnement mouvant et dans le même temps une aspiration à retrouver un sens, une singularité à ce que nous sommes et ce que nous entreprenons.

Marc HalévyMarc Halévy se définit lui-même comme un « tisserand de la compréhension du devenir. » Polytechnicien, docteur en sciences appliquées, il se spécialise en sciences de la complexité auprès du prix Nobel de chimie 1977, le belge d’origine russe Ilya Prigogine. Après des études complémentaires en philosophie, histoire des religions et en management, il intervient depuis les années 1990 auprès de dirigeants d’entreprise pour accompagner le changement radical auxquelles leurs organisations sont confrontées.

Le prisme d’analyse de Marc Halévy part du principe que la mutation en cours correspond à la bascule radicale d’une économie industrielle centrée sur les équipements pour la fabrication et l’échange d’objets matériels vers une économie de la connaissance, c’est-à-dire centrée sur la matière grise humaine. D’une économie capital intensive à une économie people intensive, la valeur d’une entreprise devient ainsi majoritairement nourrie par l’intelligence qu’elle contient et non plus par la matière qu’elle y travaille.

C’est un changement de paradigme très profond ! Le style de management doit également opérer sa bascule. En effet, dans une culture financière et comptable, le patrimoine de l’entreprise n’est plus reflété dans son bilan car son principal actif n’est pas comptabilisable puisqu’il s’agit de l’ensemble des savoir faire, de l’intelligence et des talents qui s’y expriment.

Organisation pyramidalePar ailleurs, nous sommes profondément marqués par un mode d’organisation pyramidal, sous-tendu par le principe d’arborescence qui présente l’avantage de minimiser le nombre d’interactions entre les différents éléments. Mais comme le soulignait Marc Halévy lors d’une intervention pour Leroy Merlin à Villeneuve d’Ascq en octobre 2011, « aujourd’hui, face à la complexification et l’accélération du monde, ce mode d’organisation n’est plus adapté : il est trop lent et trop lourd. Pour palier la forte inertie du système, un nouveau type d’organisation voit de plus en plus le jour : le réseau. Contrairement à l’arborescence pyramidale, c’est la maximisation du nombre des canaux d’interactions qui est visé. » > voir son article sur la logique des réseaux.

Organisation en réseauPour répondre aux impératifs d’adaptation de plus en plus rapide à un environnement en évolution permanente, mille, trois mille ou vingt mille collaborateurs en résonance avec leur environnement représentent autant de capteurs branchés sur l’écosystème qu’une dizaine de membres d’un comité de direction ne saura jamais remplacer avec autant de pertinence, d’agilité et de finesse.

Mais la logique de travail en réseau est loin d’être évidente tant elle est éloignée de nos habitudes d’organisations hiérarchiques où depuis si longtemps la domination prévalait sur la collaboration. « My Tailor est mort ! » proclamait un article de l’Usine nouvelle en juinMy Tayor est mort 2012 pour signifier le renouvellement nécessaire du modèle taylorien qu’Isaac Getz décrit comme la bureaucratie hiérarchique qui sépare « ceux qui savent » et « ceux qui exécutent » : > Une erreur est moins grave que des salariés passifs, osons la confiance et l’autonomie ! Travailler en réseau modifie profondément la manière de gérer, de penser, de travailler ou de communiquer. Devenir une entreprise collaborative implique un changement de paradigme très impliquant car loin de la bureaucratie à la fois rassurante mais sclérosante. C’est accepter une transformation permanente. Cela passe par un lâcher-prise qui demande un certain courage.

Cependant dans un monde en pleine mutation, le management semble évoluer moins vite que le monde qu’il est censé « animer » ! Les modes d’organisation ont finalement peu changé depuis un siècle. Les changements dans la façon dont les entreprises créent de la valeur et interagissent avec leur environnement réduisent fortement l’efficacité du modèle de leadership top-down de type administratif. Marc Halévy précise même « La révolution qui s’annonce – et qui s’avère vitale pour l’humanité – sera une révolution bottom-up, du bas vers la haut, par exemplarité, par contagion, par capillarité. » Cette invitation à libérer l’énergie des salariés pour inventer un management 2.0 était le sujet d’un précédent article : Le courage du « lâcher prise » ou la liberté des salariés comme remède à la crise

La fin du management, Gary HamelA l’invitation du gourou en management Gary Hammel qui préconise la fin du management, c’est-à-dire la fin du management traditionnel comme technique de gestion, nous sommes invités à réinventer le sens du travail et la finalité des organisations car, pour durer, l’entreprise doit aujourd’hui satisfaire à la fois les exigences des salariés et des actionnaires mais aussi celles de la société en général.

Dans son article « L’économie pour quoi faire » Marc Halévy pose le diagnostic suivant : « L’économie moderne n’a visé que son propre accomplissement (la croissance !) au détriment de celui des hommes qu’elle a rendu esclaves de leur travail et de leur consommation, et au détriment de celui de la biosphère qu’elle a pillée, saccagée, polluée et détruite à qui mieux-mieux. » Bien définir la finalité de l’économie, et par extension celle de chaque entreprise, est un enjeu clé. La destination finale que l’on se fixe doit même, pour être effective dans le présent, se doter de critères, « pour choisir, à chaque pas, le chemin possible le plus souhaitable. » Pour Halévy, c’est la notion d’intention qui rend cette traduction dans le réel possible.

Jean-François Zobrist, leader libérateur de l’entreprise FAVI, insiste beaucoup sur la place prépondérante à laisser au pourquoi plus qu’au comment. Manager l’incertain ? « Sans doute en laissant de grands espaces de liberté à chacun et surtout aux productifs, pour qu’ils s’adaptent en permanence à leur environnement » répond-il. Mais pour cela il est essentiel que le pour quoi et le pour qui soient intégrés par tous ! Et tel un commandant de sous-marin, il invite les dirigeants d’entreprise à écouter les craquements de la coque du navire et tous les petits bruits de l’intérieur du vaisseau : « Le patron doit aller rechercher les signaux faibles porteurs d’avenir, dedans, auprès des productifs directs, et dehors, pour anticiper les évolutions du monde en cours de bascule entre deux états, l’un la consommation-production, l’autre en devenir. »

A propos Nicolas Cordier

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