‘En vue de quoi ?’ ou la quête de sens comme moteur d’une société en plein renouvellement

De plus en plus de stratégies d’entreprise ou de politiques publiques échouent et ne sont pas comprises. L’adhésion à des projets ‘qui viennent d’en-haut’ est de plus en plus faible. A un niveau plus personnel, l’enthousiasme est souvent le grand absent au moment de démarrer une journée de travail. Le désengagement des salariés concernerait près de 9 personnes sur 10 (voir notamment les résultats de l’enquête Gallup).

L’une des raisons en est simple : notre capacité de vision est émoussée. Nous ne savons plus regarder. Dans notre monde à l’avenir incertain, garder le nez dans le guidon permet de se rassurer en voyant le bout de sa roue mais cela ne trace pas une trajectoire, un but à atteindre, un sens à l’action… Nous nous berçons d’illusions dans les conventions. Du coup, nous vivons à la périphérie de nous-mêmes. Et nous avons renoncé Un regard peut tout changerà nous poser la question de la finalité de nos existences et de nos actions. Vivre ou survivre, voici une question bien dérangeante quand nous ignorons ‘en vue de quoi’ nous vivons et nous agissons.

Sortir de nos aveuglements pour regarder la réalité du monde avec d’autres yeux est l’invitation principale d’Aubry Pierens dans un ouvrage pertinent d’un « consultant aux conseils impertinents » sorti le 21 avril dernier : Un regard peut tout changer.

Devenir visionnaire, mais oui vous pouvez !

« ‘En vue de quoi ?’ : telle est la question qui ouvre le mieux les yeux. Celle qui guide les leaders. Celle qui inspire les vrais innovateurs. Celle qui fonde les grands projets. Celle qui mobilise les énergies et les talents les plus divers dans une même direction. Celle dont la juste réponse accroît immanquablement les chances de réussite, l’harmonie des organisations et la plénitude des vies » défend le dirigeant de l’agence We ShakeAubry Pierens dans ce livre qui tente de faire bouger les choses. « Comment retrouver le zèle de l’espérance, de la confiance, de l’invention, de l’harmonie sociale et de la réussite partagée ? En devenant visionnaire. »

‘En  vue de quoi ?’, une question minuscule, mais qui a un potentiel atomique pour celui qui aura appris à se la poser, interpelle Aubry Pierens.

En quête de sens, une question de plus en plus d’actualité

La réussite et l’ambition semblent se redéfinir de manière importante. Pendant des décennies, le chemin d’une vie réussie était synonyme d’ascension dans la vie professionnelle, d’échelons à gravir dans une organisation valorisant les succès sans laisser de place aux questions plus personnelles et existentielles. Une nouvelle génération en quête de sens arrive sur le marché du travail et rejoint les questions existentielles de ceux qui après des années d’expérience cherchent un souffle nouveau dans un modèle arrivé à bout de course…

Film En quête de sensLe succès de deux films récents illustre cette recherche d’unité entre valeurs personnelles et engagement citoyen. Le film ’En quête de sens’ de Nathanaël Coste et Marc de la Ménardière (voir son TEDxLille) est l’histoire de ces deux amis d’enfance aux trajectoires opposées qui se retrouvent après quelques années et décident d’aller questionner la marche du monde. A l’origine, Nathanaël, réalisateur de documentaires sur des projets à impact positif, a l’intuition que filmer le déclic et la prise de conscience progressive de son ami Marc qui vivait jusqu’alors la belle vie d’un expatrié dans une multinationale à New York, constituait un fil rouge inspirant pour d’autres… Caméra au poing, il filme alors son voyage initiatique sur plusieurs continents à la rencontre de personnes inspirantes comme Vandana Shiva, Pierre Rabhi, Trinh Xuan Thuan, Marianne Sébastien, Hervé Kempf, et autres chamans… Au-delà de nos croyances, ce film aux multiples projections – publiques ou privées – a déjà réuni des centaines de milliers de spectateurs. Ces « ciné-échanges » sont l’occasion d’aborder un thème cher au paysan-philosophe Pierre Rabhi interviewé dans le film : « Il n’y aura pas changement de société sans changement humain. Et pas de changement humain sans changement de chacun. » C’est une invitation à reconsidérer notre rapport à la nature, au bonheur et au sens de la vie.

L’autre film qui propose des solutions et une autre vision de l’avenir « radicalement différente de ce que nous avons connu jusqu’à maintenant » est le documentaire DEMAIN Film Demain de Cyril Dion co-réalisé avec Mélanie Laurent. Il répond aussi à ce déficit de vision d’avenir, de projet politique, de réalisations qui donnent de l’enthousiasme et de l’espoir. On retrouve certains témoins inspirants de ‘En quête de sens’ avec un accent mis sur des réalisations à impact positif, mises en place par des citoyens, et qui donnent envie d’agir !

Suite à la publication dans la revue scientifique Nature d’une étude de 22 chercheurs qui annonce la possible disparition d’une partie de l’humanité d’ici 2100 [cliquer ici pour accéder à Approaching a state-shift in Earth’s biosphere], Cyril Dion, par ailleurs co-fondateur en 2007 avec Pierre Rabhi du mouvement Colibris – Faire sa part et l’actrice Mélanie Laurent sont partis avec quatre autres trentenaires enquêter dans une dizaine de pays pour comprendre ce qui pourrait provoquer cette catastrophe et surtout comment l’éviter. Durant leur voyage, ils ont rencontré les pionniers qui réinventent l’agriculture, l’énergie, l’économie, la démocratie et l’éducation.

Financé en partie par des citoyens dans une campagne de crowdfunding, le film DEMAIN est sorti en décembre 2015 et totalise six mois après sa sortie plus d’un million de spectateurs en France, fait rarissime pour un documentaire.

Ces deux documentaires, dont la diffusion s’internationalise aujourd’hui, soulignent un mouvement en marche : l’envie de changer de regard sur le monde et, pour sa part, en être acteur. C’est également l’inspiration des médias SparkNews initié par Christian de Boisredon et du Projet Imagine de Frédérique Bedos dont nous nous sommes déjà fait le relais. Les questions de sens et de finalité, ‘en vue de quoi ?’ dirait Aubry Pierens, suscitées par ces médias soulèvent de vrais enjeux autour du sens du travail pour de nombreux collaborateurs d’entreprises, universités, associations ou collectivités territoriales : seront-elles capables d’accueillir en leur sein des espaces d’engagement et de participation à des projets porteurs de sens et créateurs de valeur partagée ? Ne pouvoir construire des réponses à cette recherche de sens que dans le cadre d’activités extraprofessionnelles, en soirée, le week-end ou au moment de la retraite, n’est plus possible ni souhaitable !

Les attentes des jeunes talents : une vie professionnelle alignée avec leurs valeurs

La capacité des organisations à mettre l’humain et l’innovation sociale au cœur de leur modèle devient un élément fondamental notamment pour attirer, fidéliser et engager une jeune génération connectée, informée et mobile.

C’est ce que révèle une consultation menée par IPSOS auprès de 3200 étudiants et alumnis de Grandes Ecoles françaises concernant leurs attentes professionnelles : « Talents : ce qu’ils attendent de leur emploi. Et si l’Economie Sociale et Solidaire était une solution ? » En partenariat avec la Conférence des grandes écoles (CGE) et le Boston Consulting Group (BCG), cette étude a été publié dans le cadre du Prix de l’Entrepreneur Social de la fondation Schwab et du BCG en février 2016.

Etude Ipsos, un métier qui fait sens.jpgLes talents sont exigeants vis-à-vis de la qualité de leur futur emploi. Parmi les critères définis comme primordiaux ou très importants l’intérêt du poste (88%), l’ambiance (84%) et l’alignement avec ses valeurs (75%) caractérisent en premier lieu leurs attentes.

Des étudiants qui cherchent à créer du sens. Utilité (97%), innovation (94%) et développement des compétences d’autrui (88%) seraient les trois premières sources de fierté des jeunes au cours de leur carrière.

Ces jeunes talents qui bouleversent les valeurs de l’entreprise

Laura Zimer, Ashoka L'ExpressDans la même lignée et faisant référence à cette même étude, Laura Zimer, responsable communication d’Ashoka France [si vous ne connaissez pas ce réseau mondial d’entrepreneurs sociaux et d’acteurs de changement, faites impérativement un détour inspirant en cliquant ici !] a publié récemment sur le site de L’Express une tribune intitulée « Ces jeunes talents qui bouleversent les valeurs de l’entreprise » que je reprends ici. Elle pose très bien les enjeux de l’innovation sociale comme levier de performance de l’entreprise tout en soulignant les défis de transformation managériale permettant l’émergence d’intrapreneurs sociaux, ces « corporate hackers » qui font bouger les lignes de leurs organisations en suscitant de nouveaux modèles à la frontière de l’économique et du social.


« Les étudiants et jeunes diplômés envisagent désormais une vie professionnelle alignée avec leurs valeurs. C’est la vision même de l’ambition et de la réussite que la génération du  ‘millénaire’ redéfinit, questionne et réinvente : elles sont désormais synonymes d’utilité à la société, de capacité à innover et à permettre à ceux autour de soi de se développer professionnellement. La construction méthodique d’une carrière est remplacée par la recherche d’expériences épanouissantes et porteuses de sens.

 Le monde de l’entreprise est-il prêt à accueillir ces nouvelles recrues ?  

Confiante, curieuse, intrépide et ultra-mobile sur le marché du travail, cette génération de jeunes diplômés fuira les groupes qui n’auront pas réussi à mettre l’humain au cœur de leur modèle. Bien que d’avantage attirés par l’entrepreneuriat que leurs aînés, 54 % des jeunes interrogés s’imaginent tout de même rejoindre un grand groupe. Conclusion : les entreprises vont devoir se réinventer si elles veulent attirer, mais surtout retenir ces jeunes talents.

L’innovation sociale comme élément clé de compétitivité 

Pour relever ce défi, des groupes pionniers intègrent l’innovation sociale au cœur de leur modèle économique et à tous les étages de l’entreprise. Le laboratoire Making more healthpharmaceutique Boehringer Ingelheim a ainsi lancé en 2012 l’initiative Making More Health, qui consiste pour le laboratoire à repérer et soutenir des entrepreneurs sociaux opérant dans le secteur de la santé, afin de s’attaquer aux problématiques de santé globales, dans une démarche de co-création entre différents secteurs.

Un de ses axes stratégiques, le programme Executive in Residence, permet à des membres exécutifs de rejoindre pendant 6 mois l’équipe de ces entrepreneurs avec un double objectif : apporter leurs compétences à des organisations aux ressources limitées et connecter en retour l’innovation sociale au cœur du modèle économique du groupe. A l’intersection du développement stratégique et de la gestion des talents, ce programme a valu à Boehringer Ingelheim de recevoir en 2014 le Prix allemand de l’Excellence en Ressources Humaines. En opérant à l’échelle intersectorielle, le laboratoire pharmaceutique va en effet au-delà de l’identification des innovations : il donne un nouveau sens à sa vision et encourage ses employés à expérimenter, à développer de nouvelles compétences d’innovation, de changement et de leadership et à participer à la redéfinition du cœur de métier du groupe.

Mouna Aoun Banque postaleEncourager l’intrapreneuriat social 

C’est aussi en encourageant l’intrapreneuriat social que les grands groupes réussiront à retenir les meilleurs talents. Mouna Aoun, responsable marketing au sein de la Banque Postale, établissement servant une large clientèle de personnes en situation de grande précarité socio-économique, y a ainsi lancé en 2012 l’Initiative contre l’Exclusion Bancaire. En lançant des partenariats stratégiques avec des organisations sociales, elle y a instauré une véritable démarche collective d’innovation à objectif sociétal, et ce au cœur même des missions du groupe.

L’intrapreneuriat social permet à des employés en quête de flexibilité, de sens et d’impact d’entreprendre dans le cadre sécurisé de l’entreprise, sans se heurter à la rigidité des structures hiérarchiques. Moteurs de développement stratégique, ces intrapreneurs insufflent une nouvelle identité à l’entreprise, redéfinissent sa mission et y créent de nouvelles opportunités de développement personnel et professionnel.

Le manque de culture d’entreprise favorable à ces initiatives est encore une barrière majeure à leur développement, mais déjà, ces intrapreneurs commencent à faire bouger les lignes, bousculent la conception des structures hiérarchiques et brouillent les frontières entre monde de l’entreprise et engagement citoyen. 

Cette nouvelle génération est à la fois le symptôme et le remède. Conséquence de l’urgence des problématiques sociales et environnementales auxquelles nous faisons face, cette quête de sens peut aussi devenir l’un des moteurs d’une économie en plein renouvellement. »


Plus que jamais Sens et Performance ont destins liés : la complexification croissante des métiers peut vite s’apparenter à une accumulation de tâches à exercer qui perd toute signification et l’énergie de la mise en œuvre est alors au plus bas. Motiver, c’est donner un motif, puis un moteur à l’action. Le ‘pourquoi on est là’ doit devenir le premier ressort de l’engagement et de la performance des organisations. Dans le même temps, rendre un service de qualité, veiller à avoir des indicateurs de performance et créer de la valeur est fondamental pour avoir les conditions d’exercer sereinement et durablement sa mission.

Avec d’autres mots, c’est ce qu’exprime Michel Fiol, professeur à HEC, en parlant de management de conquête, viril, masculin, visionnaire, rationnel, tournée vers l’action et la performance, centrée sur l’individu et de management de finesse, plus subtil, plus humble, où l’entreprise est un tout. Ces deux notions sont complémentaires, car pour Michel Fiol, loin d’être opposées, elles ont tout intérêt à s’enrichir mutuellement.

Emmanuel Faber, PDG de Danone a une formule qui désigne bien l’enjeu de l’équilibre entre Social et Business, entre Sens et Performance : « L’économie sans le social c’est de la barbarie, le social sans l’économie c’est de l’utopie. »

Toutes les initiatives tendant à réconcilier l’économique et le social comme deux facettes d’une même médaille doivent être encouragées, développées et diffusées pour lever des impensables et ouvrir de nouveaux possibles porteurs de sens et créateurs de valeur. Pour cela, retenons la question proposée par Aubry Pierens et qui peut se révéler « atomique » dès lors que l’on accepte de demeurer dans l’inconfort de réponses rarement immédiates : « en vue de quoi nous agissons ? » C’est en exerçant notre capacité visionnaire que nous pourrons être acteur du changement car comme le disait le poète Apollinaire « Il est grand temps de rallumer les étoiles. » 

A propos Nicolas Cordier

Social business intrapreneur, corporate changemaker, dreamer and doer, blogger on liberated compagnies, open innovation & how to be an actor in a changing world
Cet article, publié dans Innovation, leadership & management, Social business, est tagué , , , , , , , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

2 commentaires pour ‘En vue de quoi ?’ ou la quête de sens comme moteur d’une société en plein renouvellement

  1. Aubry PIERENS dit :

    Merci beaucoup pour ce sympathique coup de chapeau, Nicolas!
    Mis en perspective aux côtés de tant de belles réussites et magnifiques initiatives (que je salue au passage, car je les sais portées par des personnes exceptionnelles …), il prend une dimension qui me touche beaucoup.
    Je suis heureux de rejoindre par ce biais leur inspirante communauté.
    *aubry

  2. Emmanuel Faber a reformulé (et mis en oeuvre !) ce que disait Rabelais « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », avant que Descartes ne sépare la raison de la spiritualité – du sens !
    Encore mieux que « en vue de quoi ? », la question « à quoi ça sert? » facilite l’expression des besoins et la redécouverte du sens des choses. Elle est -c’est moins connu- à la racine de dizaines de méthodes d’amélioration de la performance (valeur) dans les respect des hommes (valeurs, par une démarche qui n’est plus cartésienne (causalité) mais systémique (finalités). Nous travaillons depuis quelques années à les mettre en synergie : rejoignez-nous dans le groupe LinkedIn Valeur(s) & Management ?

Laisser un commentaire