Cinq histoires d’animaux pour favoriser l’apprentissage et l’intelligence collective…

Alors que 50% des métiers qui existent aujourd’hui auront disparu dans vingt ans et que les changements s’accélèrent, l’enjeu de l’apprentissage et de l’intelligence collective pour s’adapter en permanence est crucial. A travers cinq histoires d’animaux, nous essayerons d’illustrer combien le bon sens, la responsabilité et le sens commun peuvent contribuer à une évolution « réjouissante »,  comme je l’illustrais dans mon article précédent par cette interrogation visuelle : quelle évolution choisir

A l’instar des fables animalières, ces histoires d’oiseau mandarin, de chatons, de singes, d’éléphant ou encore de grenouille nous aideront à prendre du recul sur nos propres pratiques pour choisir le ‘bon’ sens, ceux ‘uniques’ ou ‘interdits’ ne nous menant nulle part !


« Je peux faire par moi-même donc j’apprends » dit l’oiseau mandarin

Des scientifiques ont étudié l’apprentissage du chant de l’oisillon diamant mandarin. Un premier oisillon est élevé en dehors de la présence de ses congénères mais dispose mandarinde la possibilité d’écouter l’enregistrement du chant d’un adulte de son espèce en actionnant lui-même sa reproduction d’un coup de bec. On observe alors qu’il apprend aussi bien que s’il était avec des congénères. Le taux de restitution du chant enregistré atteint 76%.

En comparaison, les oisillons placés dans une cage voisine et qui ont donc tout aussi bien entendu l’enregistrement du chant actionné par leur semblable obtiennent des résultats très largement inférieurs : adultes, ils ne sauront restituer qu’un chant très pauvre, avec 39 % du chant enregistré. Lorsqu’ils se voient privés d’initiative et d’action dans l’apprentissage, les oiseaux sauront reconnaître le chant entendu mais se montrent incapables de le produire et de l’imiter.

Dans nos organisations, acceptons les tâtonnements, résistons à la tentation de trop montrer comment il faut faire au profit d’espaces d’expérimentation, gage du meilleur apprentissage…

Cette première expérience citée par Jean-Paul Gaillard dans des travaux sur l’apprentissage renvoie vers l’expérience des chatons des chercheurs en sciences cognitives du MIT, Richard Held et Alan Hein. Même si elle remonte à 1958 (diffusée dans un article publié en 1963), l’exemple reste frappant pour illustrer que l’action est dirigée par la perception.


« Je fais donc je sais et je vois » nous indiquent les chatons

Un chaton nouveau-né met quelques jours à ouvrir les yeux et à commencer à voir. Ainsi, les chercheurs ont pris un groupe de chatons peu après la naissance et les ont enfermés dans le noir. Une heure par jour, ils les sortaient à la lumière, mais le groupe était divisé en deux. Une première équipe pouvait circuler normalement et se déplacer dans la pièce tout en tirant une carriole miniature. Les autres chatons se tenaient dans un panier dans la carriole, immobiles. Les deux groupes partageaient donc la même expérience visuelle, mais le second groupe était entièrement passif.

Au bout de quelques jours, les animaux furent libérés. Le premier groupe, celui des “pilotes”, se comportaient normalement et n’eut aucun problème à s’adapter au monde extérieur. A l’inverse, les chats “passagers” se conduisaient comme s’ils étaient aveugles: ils se cognaient sur les objets et tombaient par dessus les bords. N’ayant pas pu interagir avec le monde extérieur, ils ne pouvaient donner du sens à leurs perceptions visuelles.

Ne sous-traitons pas le « travail des jambes » !

knowledge-experienceAinsi l’expérience démontre que la perception n’est pas passive. C’est une activité que le corps met en action. Nous pensons avec notre corps. Nous percevons en agissant. En matière de management de la connaissance et de stratégie d’entreprise, nous tendons à nous comporter en « chatons passagers».  Nous sollicitons experts et consultants pour nous dire comment fonctionne le monde au lieu d’aller le percevoir par nous-mêmes. Nous sous-traitons le travail des jambes. L’approche peut convenir pour des problèmes simples. Mais plus la situation est complexe, plus il importe de ne pas sous-traiter et de rester en prise avec le problème et son évolution. Si nous nous coupons du contexte, comme les chatons de la carriole, nous n’apprenons pas à voir.


« Sortir du connu, changer de paradigme » illustré par les singes et la banane

ayez-le-courage-daller-a-contre-courantCette invitation à aller sur le terrain pour apprendre requiert aussi de sortir de nos certitudes en osant remettre en cause ce qui nous semble être ‘la seule manière de faire’. Après les oiseaux mandarins et les chatons, c’est la parabole des singes qui nous y incite :

Des chercheurs ont placé cinq singes dans une cage. Au milieu de la cage, ils ont placé une échelle avec une banane au sommet. Chaque fois qu’un singe montait sur l’échelle, les chercheurs arrosaient les quatre autres singes avec de l’eau très froide… Après un petit moment, chaque fois qu’un singe essayait de monter sur l’échelle, les quatre autres l’en empêchaient et le battaient. Après un bout de temps, aucun des cinq singes ne tentait de monter sur l’échelle pour aller manger la banane.

Les chercheurs ont ensuite essayé de substituer l’un des singes avec un nouveau singe. Evidemment, la première chose que le nouveau singe a tenté de faire, c’est d’escalader l’échelle pour manger la banane. Les quatre autres singes l’ont alors attrapé et battu  pour l’en empêcher… Quelques essais plus tard, le nouveau membre ne tentait plus de monter sur l’échelle, même s’il ne comprenait pas trop pourquoi.

Les chercheurs ont ensuite substitué un deuxième singe. La même chose s’est produite. Le premier singe a également participé et a aidé ses compagnons à frapper le deuxième singe lorsqu’il tentait de monter sur l’échelle. Une fois de plus, les chercheurs ont substitué un troisième singe. Ils ont pu observer le même résultat, de même qu’en substituant un quatrième singe.

Après avoir substitué le cinquième singe, aucun des singes du groupe n’avait reçu une douche froide. Malgré cela, les agressions étaient répétées si le cinquième singe tentait de monter sur l’échelle…

Tous s’interdisent maintenant de prendre la banane ; tous ignorent pourquoi. Pourtant, tous sont les garants zélés du respect de cette interdiction. De même des cultures d’entreprise fortes, des habitudes ancrées depuis des décennies, amènent à cette impossibilité de remettre en cause certaines pratiques dans  nos organisations. Il s’agit de faire taire cette phrase : « Je ne sais pas, c’est la façon dont les choses fonctionnent ici ! » Les nouveaux arrivés dans une organisation peuvent ainsi nous aider à casser nos schémas.

Et pour voir cette parabole en vidéo :


Développer l’écoute sélective de la grenouille

Ouvrir des voies nouvelles demande d’accepter d’emprunter un chemin peu fréquenté. Néanmoins, on y retrouve de nombreux commentateurs, souvent pour nous expliquer pourquoi cela ne fonctionnera pas, que ce n’est pas le bon moment, « à quoi bon ? »… Dépasser le scepticisme permanent voire le cynisme ambiant est essentiel. L’écoute ‘sélective’ de la grenouille peut nous y aider…

Il était une fois un peuple de grenouilles qui organisa un concours. L’objectif était d’arriver en haut d’une grande tour. Beaucoup de supporters se rassemblèrent pour voir la course et soutenir les participantes. Et la course commença.

Mais personne n’y croyait vraiment. Une grenouille ça n’est pas fait pour grimper… aucune n’atteindra jamais la cime. Les gens disaient : Ce n’est pas la peine, elles n’y arriveront jamais ! Les grenouilles commencèrent à se résigner, d’autres à tomber. dont-be-afraid-to-be-different-to-make-a-differenceMais quelques unes continuaient…
 Et les gens disaient encore : Ce n’est pas la peine, elles n’y arriveront jamais !

Et les grenouilles petit à petit s’avouèrent vaincues. Il y en avait une qui insistait, insistait.

A la fin, il n’en resta qu’une qui, avec un énorme effort, atteignit le haut de la tour. Les autres voulurent savoir comment elle avait fait. Elles s’approchèrent pour le lui demander.

Et on découvrit… qu’elle était sourde !


« Je ne vois qu’une partie du tout, les autres m’apportent la vision globale » suggère la rencontre d’un éléphant par six aveugles

6-ou-9La fable indienne des aveugles et de l’éléphant nous offre une cinquième clé de l’intelligence collective. Elle nous invite à sortir de nos aveuglements, de nos visions autocentrées pour nous enrichir du point de vue et de la perception de l’autre. L’autre, différent de moi, complète ma vision globale de la situation.

Un jour de grand soleil, six aveugles originaires de l’Hindoustan, instruits et curieux, désiraient, pour la première fois, rencontrer un éléphant afin de compléter leur savoir…

Le premier s’approcha de l’éléphant et, alors qu’il glissait contre son flanc vaste et robuste, il s’exclama : « Dieu me bénisse, un éléphant est comme un mur ! ».

Le deuxième, tâtant une défense s’écria « Oh ! Oh ! rond, lisse et pointu ! Selon moi, cet éléphant ressemble à une lance ! »

Le troisième se dirigea vers l’animal, prit la trompe ondulante dans ses mains et dit : « Pour moi, l’éléphant est comme un serpent. »

Le quatrième tendit une main impatiente, palpa le genou et fut convaincu qu’un éléphant ressemblait à un arbre !

Le cinquième s’étant saisi par hasard de l’oreille, dit : « Même pour le plus aveugle des aveugles, cette merveille d’éléphant est semblable à un éventail ! »

Le sixième chercha à tâtons l’animal et, s’emparant de la queue qui balayait l’air, perçu quelque chose de familier : « Je vois, dit-il, l’éléphant est comme une corde ! »

Alors, les six aveugles discutèrent longtemps et passionnément, tombant chacun dans un excès ou un autre, insistant sur ce qu’il croyait exact. Ils semblaient ne pas s’entendre, lorsqu’un sage, qui passait par-là, les entendit argumenter.

– « Qu’est-ce vous agite tant ? » dit-il.

– « Nous ne pouvons pas nous mettre d’accord pour dire à quoi ressemble l’éléphant ! »

Et chacun d’eux lui dit ce qu’il pensait à ce sujet. Le sage, avec son petit sourire, leur expliqua : « Vous avez tous dit vrai ! Si chacun de vous décrit l’éléphant si différemment, c’est parce que chacun a touché une partie de l’animal très différente ! L’éléphant à réellement les traits que vous avez tous décrits. »

« Oooooooh ! » exclama chacun. Et la discussion s’arrêta net ! Et ils furent tous heureux d’avoir dit la réalité, car chacun détenait une part de vérité.

Dépasser son propre point de vue, nécessairement partiel et limité, est un vrai processus de maturité. Dans nos réunions de travail, susciter les espaces d’échange authentique permettant aux différentes « parts de vérité » de s’exprimer est la clé pour faire, ensemble, un ‘tout’ plus riche.


Ubuntu, je suis parce que nous sommes

Une histoire du sud de l’Afrique synthétise bien l’un des enjeux principaux du vivre ensemble, et par là-même, des manières efficientes de travailler en mode collaboratif :

Un anthropologue avait caché des fruits dans un panier près d’un arbre et a dit à des enfants d’une tribu africaine qui l’entouraient, que le premier qui les trouverait gagnerait tous les fruits. Quand il donna le coup d’envoi, tous les enfants se sont donné la main et ont couru ensemble pour trouver le panier, puis ils se sont assis tous ensemble pour déguster les fruits.

Lorsque l’anthropologue leur a demandé pourquoi ils avaient couru ainsi alors qu’un seul aurait pu gagner tous les fruits, ils répondirent « UBUNTU », expliquant «  Comment l’un de nous pourrait-il être heureux si tous les autres sont tristes ? »

ubuntu-je-suis-parce-que-nous-sommesUBUNTU, en culture xhosa, signifie: « Je suis parce que nous sommes. » L’idée d’ubuntu est celle d’une incitation réciproque, d’un partage qui construit mutuellement les êtres.  Il faudrait plusieurs mots comme humanité, partage, inventer, construire, mettre ensemble, pour traduire le seul mot ubuntu.

Desmond Tutu, archevêque anglican du Cap en Afrique du Sud et Prix Nobel de la Paix en 1984, a remis au goût du jour à la fin de l’apartheid ce concept présent dans toutes les langues bantoues, en inspirant la politique
de réconciliation nationale : « Quelqu’un d’ubuntu est ouvert et disponible pour les autres, dévoué aux autres, ne se sent pas menacé parce que les autres sont capables et bons car il ou elle possède sa propre estime de soi — qui vient de la connaissance qu’il ou elle a d’appartenir à quelque chose de plus grand — et qu’il ou elle est diminué quand les autres sont diminués ou humiliés, quand les autres sont torturés ou opprimés. »

Parabole de la  « société en réseau »

Le concept ubuntu nous enseigne sur une des caractéristiques de nos sociétés en réseau. Une autre manière d’illustrer les enjeux pour atteindre plus d’efficacité dans nos organisations complexes est la conception du TGV.

Traditionnellement, les trains fonctionnaient sur la base d’une locomotive qui transforme l’énergie électrique captée en force motrice pour tirer le reste des wagons qui lui sont attelés. La vitesse de croisière d’un train Grandes Lignes était alors de 150 km/h.

Le principal défi pour les concepteurs d’un TGV qui atteindrait une vitesse de 300 km/h était donc de doubler la vitesse de déplacement du train sans multiplier par deux la force motrice déployée et donc l’énergie dépensée… Pour cela, la solution technique obligea à un changement du rôle traditionnel de la locomotive qui tire l’ensemble en ‘capteur-redistributeur’ de l’énergie afin de relayer la création de la force motrice dans les boggies de chacune des rames du train. La répartition des forces dans une mise en réseau des puissances en présence permit ainsi d’atteindre une vitesse deux fois supérieure pour une énergie pratiquement identique.

Le fait que tous les boggies du TGV soient moteurs assure une adhésion du TGV sur les voies ferrées beaucoup plus forte que dans le cas d’un train seulement tiré par une locomotive. D’où une sécurité plus grande, absolument nécessaire aux grandes vitesses.

Les wagons du TGV sont « solidaires », comme une chaîne, souplesse des articulations et solidité des liens combinées, ce qui permet de limiter les dégâts lors d’un déraillement comme l’ont démontré plusieurs accidents de ce type.

Cette métaphore dit des enjeux du travail en réseau dans les entreprises, où la mise en route de « moteurs » dans différents services et départements permet une accélération du rythme de l’ensemble.


Ainsi, pouvoir faire par soi-même pour apprendre comme l’oiseau mandarin, enrichir nos perceptions par un déplacement sur le terrain du réel comme les chatons, sans sous-traiter le ‘travail des jambes’ ouvre la possibilité à de nouveaux possibles quand nous acceptons de remettre en cause les règles inconscientes héritées des singes précédents. Ne pas écouter les oiseaux de mauvais augure comme la grenouille sourde nous permet de tracer notre route vers l’impossible, surtout si nous n’oublions pas de nous décentrer de notre vision exclusive pour nous enrichir de la vision complète de l’éléphant que nos aveuglements peuvent réduire à une seule de ses parties. Le ‘tout’ plus riche que l’ensemble des parties, c’est aussi mettre d’actualité l’ubuntu, ce concept des langues bantoues, où la finalité exprime un ‘je suis parce que nous sommes’ qui conserve l’identité propre de chacun. Pour des organisations efficaces, allumons les moteurs redistribués de la responsabilité et de l’engagement pour aller plus vite, plus sûr, sans dépenser plus d’énergie.

A propos Nicolas Cordier

Social business intrapreneur, corporate changemaker, dreamer and doer, blogger on liberated compagnies, open innovation & how to be an actor in a changing world
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4 commentaires pour Cinq histoires d’animaux pour favoriser l’apprentissage et l’intelligence collective…

  1. DAMIEN DELEPLANQUE dit :

    Merci Nicolas… Intéressant et proche de la philosophie de Confucius sur l’apprentissage et la formation . Bonne fin de week end Damien

    Envoyé de mon iPad

    >

  2. JC Bourdais dit :

    Grand merci Nicolas.
    Intéressant, j’adhère tout à fait.
    Une simple remarque relative aux consultants, qui n’est pas contradictoire avec l’exemple des chatons : dans une PME, où chacun est enfoui sous un quotidien souvent vital et mortifère en même temps, le consultant apporte une respiration, une écoute, facilite la synthèse, le développement des idées, l’adhésion et, donc, la mise en oeuvre rapide, souvent source de développement ou de …simple survie.
    Et si l’expérience des chatons avait été inventée par un consultant?

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  4. loginsrso dit :

    Merci pour ce billet. Remarquable synergie décrite via Ubuntu. Vos descriptions me rappellent le livre écrit par Jean-Marie Pelt et Pierre Rahbi sur l’associativité (« Le monde a-t-il un sens ? »). Très cordialement.

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