Faire ce que la situation requiert et extraire la joie de tout, les vœux inspirants de Laurent Ledoux pour 2016

En cette période de vœux, je suis très heureux de vous partager le message de Laurent Ledoux que je viens de recevoir. Intitulé Partage d’expériences personnelles en 2015 et vœux pour 2016, il m’a paru particulièrement inspiré et inspirant, à la fois d’un point de vue personnel comme pour réinventer notre art de vivre ensemble dans nos organisations…

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Laurent Ledoux est le président du Service Public Fédéral (SPF) Mobilité et Transports belge (l’équivalent du Ministère des Transports en France). Après 20 ans d’expérience dans le secteur privé comme public, cet homme passionné par le développement et la transformation d’organisations afin qu’elles puissent impacter positivement la société, a pris la tête du SPF Mobilité en juillet 2003. Il en assure la transformation managériale pour libérer les énergies de chaque collaborateur de ce service public.

L’expérience de son ministère a fait l’objet d’un reportage dans le film de Martin Meissonnier « Le bonheur au travail » diffusé en février 2015 sur ARTE et RTBF et qui dresse un panorama complet des organisations qui mettent en oeuvre un management où liberté et responsabilité riment avec bonheur et performance. Voici un extrait de 7’30 » avec l’interview de Laurent et de personnes du SPF :  

Laurent Ledoux est également intervenu lors du World Forum for a Responsible Economy à Lille en octobre dernier aux côtés d’Isaac Getz et de Bob Davids dans une table ronde animée par Laurent Marbacher sur le thème « Réinventer le leadership avec l’entreprise libérée » (> voir ici l’intégralité de la conférence)

Ses vœux pour 2016 sont particulièrement inspirants notamment parce qu’ils reposent sur quelques leçons de vie plus personnelles, nous rappelant par là-même que nulle transformation des métiers et des organisations n’est possible sans une transformation personnelle de l’équipe de management.

Il nous invite à faire autant que possible « ce que la situation requiert », ce qui contribue à « extraire la joie de tout. »

Pour faire effectivement « ce que la situation requiert », il s’agit d’être capable de « voir » la réalité telle qu’elle est ce qui implique de se libérer de certains besoins. Laurent Ledoux décrit en particulier trois besoins dont il peut être « utilement » intéressant de se libérer, que l’on soit manager d’équipe ou pas. Ces trois libérations font écho aux trois niveaux de conscience des entreprises responsables :

  1. Se libérer du besoin de plaire
  2. Se libérer du besoin de contrôler la situation
  3. Se libérer du besoin de croire en la puissance de ma volonté

Bonne lecture et bonne année ! Que 2016 soit l’occasion renouvelée d’activer la joie comme moteur du changement, d’oser emprunter le chemin peu fréquenté de la libération et de l’authenticité personnelles pour basculer dans un lâcher-prise et une confiance permettant la mise en place de nouveaux modes d’actions managériales…


 

Ciel

« La joie est dans tout ; il s’agit de savoir l’extraire »

Je vous souhaite de savoir le faire en toutes circonstances en 2016. Mes vœux pourraient s’arrêter ici avec cette citation de Confucius : ils auraient le mérite d’être brefs.

Mais, comme l’année passée, je ne résiste pas au plaisir de partager avec vous quelques leçons de vie plus personnelles, apprises cette année au travers d’épreuves dont certaines eurent des échos publics.

Soyons de bons comptes : ce n’est pas seulement le plaisir de partager ces leçons et l’espoir qu’elles vous soient utiles qui ont inspiré les lignes qui suivent.

Elles ne sont pas pour autant dictées par une volonté de revenir sur les faits, sur ce qui m’est arrivé cette année – ce que la plupart d’entre vous ignore heureusement d’ailleurs – pour justifier mes actions ou faire le procès de quiconque.

Les faits importent d’ailleurs peu à ce stade : déjà ils sont effacés par le temps ou par d’autres événements.

« Ce qui compte vraiment n’est pas ce qui nous arrive mais ce que nous en faisons »

Or, pour cela, il s’agit de penser ce qui nous arrive. Et, pour ma part, paresseux à mes heures, je sais d’expérience que je pense plus et mieux lorsque j’ai la perspective de partager les fruits de ma réflexion, en l’occurrence ces leçons, comme je le fais maintenant.

Ainsi, les leçons que je tirais de mes expériences en 2014 et que je partageais dans mes vœux pour 2015 évoquaient des joies durables qui traversent et se nourrissent des épreuves.

« En tant que manager, rien ne me rend plus joyeux que de voir une organisation, une équipe, se libérer progressivement et organiquement des contraintes qu’elle s’était, consciemment et inconsciemment, imposées et de permettre ainsi aux collaborateurs de se déployer et de grandir à la mesure de leur volonté et de leurs talents. »

Au terme de 2015, constatons d’emblée que ces joies restent et se sont même approfondies:

  • le SPF Mobilité continue sa transformation. Le film «Le Bonheur au travail»  en témoigne ainsi que la victoire du SPF au Facility Management Awards de 2015 de cette année pour le projet Mobi4U et l’auto-évaluation de la réalisation du plan de management du SPF ;
  • le cycle 2015-2016 de séminaires de PhiloMa sur «l’agir commun» est source de réflexions stimulantes et rafraîchissantes qui me soutiennent au quotidien et me transforment ;
  • les épreuves à surmonter n’ont pas manqué : les débats publics auxquels j’ai été associé malgré moi ont été encore plus hauts en couleurs que ceux de 2014. Espérons quand même que 2016 soit un peu plus calme. Il faudra pour cela que tous s’engagent à plus de transparence dans les décisions, à un véritable débat démocratique porté par la défense de l’intérêt général et à l’abandon de pratiques visant à discréditer et écarter ceux qui gênent.

Cette année, un enseignement en particulier, reçu d’un maître que j’aime beaucoup, m’a aidé à maintenir le cap dans la tourmente et à traverser sereinement les épreuves. Cet enseignement se résume à quelques mots simples en apparence : « Fais ce que la situation requiert. »

« Fais ce que la situation requiert.»

Que m’ont appris ces mots ? D’une part, ils m’ont fait prendre conscience à quel point ma vie est fortement déterminée par des circonstances externes à moi et qu’il est bon qu’il en soit ainsi : il ne s’agit pas de faire avant tout ce que j’aime ou désire ; il s’agit de faire ce que la situation, les circonstances externes, soufflent à ma conscience.

D’autre part, ce déterminisme n’est jamais total. Si c’était le cas, il ne serait d’ailleurs pas nécessaire d’être invité à agir de la sorte.

Ainsi, au-delà de l’apparent déterminisme qu’ils évoquent, ces mots peuvent aussi être entendus comme une « invitation du réel » à agir d’une certaine façon : un appel à me conformer, librement, à ce qui survient, à la réalité.

Ces mots m’évoquent à la fois le déterminisme et la liberté de notre condition humaine. Or, cette liberté n’est jamais donnée en héritage. Elle s’apprend et se gagne au prix d’efforts et de travail sur soi. En effet, pour faire effectivement « ce que la situation requiert », il s’agit d’être capable de « voir » la réalité telle qu’elle est. Et pour la voir ainsi, il convient de se libérer de certains « besoins », souvent illusoires, le plus souvent induits par des peurs.

Permettez-moi donc d’évoquer ci-dessous trois besoins sur lesquels j’ai particulièrement travaillé cette année. Trois besoins dont chaque personne, qu’elle dirige une équipe ou pas, peut utilement se libérer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les trois libérations évoquées ci-dessous font écho aux «trois niveaux de conscience des entreprises responsables» que j’ai développés cette année avec l’équipe « Leadership in the New Economy » de l’association Lead-In.

1.Se libérer du besoin de plaire (Human Dynamics Consciousness)

Il n’est pas trop difficile, avec l’âge, d’accepter qu’on ne puisse pas plaire à tout le monde. Plus difficile cependant est d’accepter de ne pas être apprécié, respecté ou reconnu par ceux-là même au service desquels on travaille au quotidien.

Or, c’est un fait historique qui se vérifie dans toutes les cultures : ceux qui tentent de transformer la dynamique d’un groupe sont souvent trahis, chassés, voire assassinés, au propre ou au figuré, par les membres du groupe, même si la transformation est finalement réalisée et bonne pour le groupe.

« La lumière ne se fait que sur les tombes » chantait Ferré.

L’œuvre fondamentale et encore trop peu connue de René Girard – qui nous a quitté cette année – sur le désir mimétique m’a mieux aidé à comprendre pourquoi. De même que l’œuvre de Machiavel, célèbre mais souvent très mal comprise. Girard m’a éclairé également quant aux liens qui ont existé de tous temps entre la violence et le sacré. Il m’a aidé à comprendre un peu mieux certaines des sources de l’intégrisme et du Djihadisme qui sévissent actuellement, et des pistes possibles pour les dépasser.

Ces lectures et les expériences de cette année m’ont surtout appris à me libérer un peu plus de ce besoin de plaire et à continuer, à mon niveau, à œuvrer pour chaque collègue. Y compris pour ceux qui, par crainte ou espoir d’obtenir des faveurs futures, agissent parfois inconsciemment contre les intérêts mêmes de notre organisation.

Cette recherche, jamais définitivement acquise, de lucidité bienveillante n’est pas seulement« éthique. » Elle donne également énergie et paix intérieure. Elle aide à rester déterminé, à voir et à faire ce que la situation requiert, tout simplement.

2. Se libérer du besoin de contrôler la situation (Eco-systemic Consciousness)

Nous sommes programmés pour vouloir contrôler nos vies et, dans une certaine mesure, celles des autres. En tant que managers, nous pensons être experts en contrôle. Alors que, fondamentalement, nous ne contrôlons rien : à tout moment, une catastrophe peut balayer ce que nous avons construit pendant des années, sur le plan personnel comme professionnel, emporter nos vies ou celles de ceux qui nous sont chers.

En être conscient ne conduit pas au défaitisme ou à l’apathie : cela conduit simplement à adopter une attitude moins violente face au réel, face aux autres et face à nous-mêmes.

A cet égard, François Jullien a magnifiquement illustré dans le «Traité de l’efficacité» deux conceptions fort différentes de l’efficacité :

  • la conception héritée de la philosophie grecque, « téléologique », qui nous pousse à écarter, souvent de façon violente pour notre environnement, tous les obstacles entre nous et le but que nous nous sommes fixés ;
  • la conception héritée de la philosophie chinoise (et indienne), « adaptative », qui nous invite à observer d’abord l’environnement, à concevoir de façon lucide les situations auxquelles il peut naturellement mener et à épouser le chemin qui conduira avec le moins d’efforts possibles à une situation satisfaisante pour nous ou notre groupe.

L’approche chinoise de l’efficacité n’est pas seulement plus respectueuse de notre environnement et de nous-mêmes.

Elle permet aussi de mieux saisir les opportunités inattendues et de plus en plus fréquentes dans la « société fluide » chère à Joël de Rosnay : elle nous invite à « surfer la vie. »

Cette dernière année, j’ai pu apprécier tout particulièrement les bienfaits d’une telle approche. Elle m’a permis, à plusieurs occasions, de saisir des opportunités sans lesquelles j’aurais pu être malmené, sans lesquelles j’aurais pu m’égarer.

Elle m’a permis de mieux appliquer les préceptes de l’adaptive leadership (« give the work back to the people », « get on the balcony », « orchestrate the conflict », « modulate the stress », « protect the voices without authority »,…) chers à Ronald Heifetz, dont je rumine l’oeuvre depuis plus de 10 ans.

Plus important encore, cet abandon du besoin compulsif de contrôle m’a donné régulièrement la sensation d’être en phase avec un « flow », un flux de vie qui me traverse et me dépasse, comme il traverse tout être et toute chose.

Ainsi, en plongeant sans peur dans le torrent de la vie, dans le «cosmos torrentiel» cher à Whitehead – découvert cette année via PhiloMa –, et en me laissant emporter par lui, je me sens parfois porté par cette énergie infinie, inépuisable qui traverse et unit tout, ou plutôt, qui est tout.

3.Se libérer du besoin de croire en la puissance de ma volonté (Purpose Consciousness)

Notre volonté de puissance nous porte facilement à croire en la puissance de notre volonté.

Des courants de pensée à la mode aujourd’hui pourraient laisser penser qu’il suffit de croire « de toute son âme » qu’une chose arrive pour qu’elle arrive réellement.

Tout en étant toujours plus convaincu que les pensées et l’énergie que chacun de nous dégage influencent le monde, il me semble potentiellement dangereux de poursuivre avec une volonté trop intense les buts que je me donne.

Pourquoi ? Parce que ces buts sont le plus souvent temporaires, contingents, et voués, comme tout le reste, au néant.

Les grands spirituels invitent au contraire à « accueillir avec joie ce qui est. »

Ce qui ne veut pas dire que je peux m’asseoir et attendre que cela se passe : il s’agit plutôt d’agir, et de faire de mon mieux, en fonction de ce que la situation requiert, tout en acceptant avec joie ce qui advient. Agir de la sorte implique une forme de détachement, même dans l’engagement. C’est ce qui m’attire particulièrement dans le Bouddhisme Zen, tels qu’en parlent des maîtres tel Eric Rommeluère, que j’ai découvert cette année.

Et cela m’a aidé également ces derniers mois à m’engager avec sérénité dans la défense publique de notre SPF. Sans prétendre pour autant être libre de toute peur, je ressens une liberté croissante à subordonner ma volonté et les objectifs que je poursuis, pour les autres et pour moi-même, à une énergie qui me dépasse.

A poursuivre, avec engagement et détachement à la fois, le simple objectif d’être autant que possible en harmonie avec la vie, avec ce qui est. Cette attitude, cette liberté, est nourrie par une conscience croissante que chacun de nous, chaque être, et même chaque chose, est à la fois « rien » et « tout » dans l’unité indivisible du tout.

Cette conscience, qui me semble traverser tous les mouvements mystiques et spirituels, constitue peut-être l’une des clés les plus belles et les plus simples d’un bonheur durable. Elle est magnifiquement résumée dans un « haïku » de Sri Nisargadatta Maharaj, que m’a partagé un ami cette année :

« Quand je vois que je ne suis rien, c’est la sagesse.
Quand je vois que je suis tout, c’est l’amour.
Entre les deux ma vie s’écoule. »

Ces quelques mots résument l’état que je vous souhaite de vivre régulièrement en 2016, en faisant autant que possible « ce que la situation requiert », ce qui aide beaucoup, je crois, à « extraire la joie de tout », comme nous y invitait déjà Confucius, il y a déjà près de 2.500 ans.

Laurent


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A travers ces vœux nous invitant à une transformation personnelle pour faire évoluer notre agir et manière d’être dans le cadre professionnel, on perçoit bien la qualité de la réflexion sur le sens du management qui sous-tend l’approche de Laurent. Cette prise de recul pour ébaucher des réponses aux questions de notre temps est notamment facilitée par les travaux menés dans le cadre de l’association Philosophie & Management qu’il gère depuis 2009 aux côtés de Roland Vaxelaire dont j’ai eu le plaisir de faire la connaissance il y a peu.

«Quel management pour la société de demain ?» est le fil rouge des séminaires, conférences et témoignages qu’ils organisent. Pour être manager et se poser les bonnes questions, ils apportent d’ailleurs une synthèse remarquable en indiquant que « la société de demain requiert avant tout un management des limites, des liens, des finalités et des transitions. » (> voir l’intégralité d’un rapport passionnant très largement illustré)

Ce n’est pas sans rappeler les réflexions d’Elena Lasida dans son livre « Le goût de l’autre. La crise une chance pour réinventer le lien » et la pratique de Jean-Louis Lamboray avec La Constellation décrite dans « Qu’est-ce qui nous rend humains ? » que nous avons évoqué précédemment.

L’agir commun comme clé pour rêver et construire ensemble un autre avenir, c’est-à-dire un nouvel art de vivre ensemble, c’est la définition étymologique de l’économie que nous aimons rappeler dans ces articles : c’est l’invitation au cœur des propositions de Philosophie & Management.

L'agir commun, clé pour rêver et construire ensemble un autre avenir

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Pourquoi la RSE et le Développement durable ne suscitent pas l’enthousiasme : allons vers une RSE 2.0 au cœur de nos métiers !

Le dirigeant d’une multinationale française qui a récemment repris la Responsabilité Sociale de l’Entreprise dans ses attributions s’interrogeait sur le manque d’envie et d’engagement que suscitent les approches RSE ou développement durable. Il me confiait son impression était d’être envahi par des obligations normatives et la gestion de risque. Et cela ne lui donnait pas envie de s’y impliquer !

Au niveau global, force est de constater que les politiques RSE ne brillent pas par leur impact. Elles restent souvent cantonnées à des impératifs réglementaires ou à des engagements périphériques. C’est en tout cas la représentation en vigueur dans l’esprit de beaucoup. Effectivement, une conception de la RSE et du Développement Durable qui ne considérerait que la minimisation des externalités négatives de l’entreprise a ses limites : elle ne suscite pas l’enthousiasme et n’est pas un moteur de changement agissant au cœur du métier de l’organisation. Le Développement responsable demeure alors confiné dans une cellule de spécialistes en charge de ce sujet « comme un autre » sans intéresser ni impacter le cœur de métier de l’entreprise.

La « soutenabilité » de notre mode de développement, une prise de conscience relativement récente…

Notre avenir à tous, Gro BrundtlandL’expression « Développement durable » (Sustainable development en anglais) n’est apparue de manière officielle qu’en 1987, dans le rapport « Notre avenir à tous » de la Commission des Nations Unies sur l’environnement et le développement, rédigé par Gro Harlem Brundtland, alors premier ministre de Norvège.

Le Développement durable est un mode de développement cherchant à concilier le progrès économique, le bien-être social et la préservation de l’environnement. C’est permettre aussi aux générations futures de bénéficier des mêmes capacités à se développer.

Cinq finalités peuvent être associées au concept de Développement Durable :

  • la lutte contre le changement climatique et la protection de l’atmosphère;
  • la conservation de la biodiversité, la protection des milieux et des ressources;
  • la cohésion sociale et la solidarité entre territoires et entre générations;
  • l’épanouissement de tous les êtres humains;
  • une dynamique de développement suivant des modes de production et de consommation responsables.

La déclinaison au niveau des entreprises de ces trois dimensions, économique, sociale et environnementale, a pris le nom de Responsabilité Sociale de l’Entreprise (Corporate Social Responsibility, CSR, en anglais).

La RSE, comme un pot de fleurs à la périphérie du cœur métier ?

Par les valeurs positives qu’elle véhicule – une prise en compte responsable d’un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs – la RSE est rarement critiquée de manière frontale. Un peu à l’image d’un beau bouquet de fleurs dans une salle de réunion : c’est beau ou en tout cas personne ne dit que c’est moche, c’est mieux quand il y en a, mais il reste sur le rebord de la fenêtre !RSE, pot de fleurs du core business

Cette situation s’explique en partie par une prise en compte subie de la RSE, en réponse à des pressions externes à l’entreprise : réglementations d’une part, attentes de la société civile d’autre part (consommateurs, investisseurs, autres parties prenantes). La caisse de résonance des réseaux sociaux, d’Internet et des moyens de communication grand public accentue le risque d’être « épinglé » sans pouvoir se justifier. Cela incite à une politique défensive liée à une gestion de risque notamment en termes d’image de marque. Par ailleurs, l’obligation de publier un rapport annuel (depuis 2002 en France) et la croissance exponentielle de législations contraignantes peuvent amener à n’associer la RSE qu’à un travail d’audit et de reporting interne et à de la veille réglementaire. Enfin, la dimension écologique a souvent relégué les dimensions économiques et sociales au second plan en faisant de la réduction de l’empreinte environnementale le combat le plus visible.

Si un comportement responsable de l’entreprise n’est que synonyme de coûts et contraintes, la RSE vient diminuer la compétitivité et la performance économique de l’entreprise. Dans cette perspective, quelque soit la conscience de l’urgence des défis sociétaux et leurs valeurs personnelles, les dirigeants risquent peu de s’engager dans des actions pro-actives au-delà d’une conformité réglementaire, qui pourraient être critiquées par leurs propres actionnaires.

Le caractère « subversif » des démarches RSE selon la théorie néo-libérale

Une des difficultés pour envisager une responsabilité sociale élargie du rôle de l’entreprise est liée à nos représentations mentales de son rôle et de sa finalité. The business of business is business et en dehors point de salut ?

Le prix Nobel d’économie en 1976 Milton Friedman, fondateur de « l’école de Chicago », grand pape de l’ultralibéralisme, a été un des économistes les plus influents du XXème siècle. Ses théories se sont infusées dans le monde entier et semblent imprégner encore assez largement les esprits. Ainsi dans Capitalisme et Liberté (1962) son ouvrage le plus important et peut-être le plus provocateur en économie, on peut lire :

« Peu d’évolutions pourraient miner aussi profondément les fondations même de notre société libre que l’acceptation par les dirigeants d’entreprise d’une responsabilité sociale, autre que celle de faire le plus d’argent possible pour leurs actionnaires. C’est une doctrine fondamentalement subversive. Si les hommes d’affaires ont une responsabilité autre que celle du profit maximum pour leurs actionnaires, comment peuvent-ils savoir ce qu’elle est ? Des individus auto-désignés peuvent-ils décider de ce qui est l’intérêt de la société ? »

Les décisions d’allocation de ressources ne devraient donc concerner que des projets objectivement profitables d’un point de vue financier.

Shared Value : redéfinition de la création de valeur pour penser le business de manière différente

En toile de fond, ces représentations du rôle d’une organisation centrée exclusivement sur des valeurs économiques et financières restent très présentes. Un élargissement du rôle de l’entreprise commence néanmoins HBR Shared Valueà apparaître. A ce titre, l’article très remarqué « Creating shared value » de Porter et Kramer début 2011 dans la Harvard Business Review a mis en lumière le concept de création de valeur globale ou valeur partagée. Il démontre comment la création de valeur économique passe par le fait de mettre les bénéfices sociaux et environnementaux au même rang que les bénéfices financiers, au cœur de la logique compétitive de l’entreprise.

L’économie inclusive, condition de la croissance

Dans un contexte de préoccupation croissante concernant l’augmentation de l’inégalité des revenus et les répercussions économiques et sociales négatives qui en découlent, le Forum économique mondial de Davos a The inclusive growth and development report 2015, WEF.jpgpublié une étude significative en septembre 2015. Ce premier Rapport sur la croissance et le développement inclusifs 2015 conclut que tous les pays passent à côté d’occasions pour réduire les inégalités de revenus tout en renforçant les bases de la croissance économique. Construire une économie plus inclusive ne serait donc pas seulement une préoccupation d’ordre éthique mais une condition importante favorisant la croissance.

RSE 2.0 : réinventons la croissance ! 

Dépassant de simples engagements périphériques ou la seule anticipation d’obligations légales croissantes, ce que le professeur de Cambridge The Age of Responsability, CSR 2.0 Wayne Visser.pngWayne Visser a nommé « RSE 2.0 », est la génération d’externalités positives, un engagement sociétal comme accélérateur des stratégies conventionnelles de l’entreprise. Pour lui, il faut inventer de nouveaux modèles économiques, en rupture avec ceux existants qui ont montré leur échec : « La crise financière mondiale représente un échec de la responsabilité à plusieurs niveaux – du niveau de l’individu et de l’entreprise à celui du secteur de la finance et du système capitaliste dans son ensemble, et sous l’échec de la responsabilité se cache une avidité rampante qui a corrompu nos systèmes économiques, notre gouvernance et notre éthique, surtout dans nos économies occidentales. »

La RSE 2.0 serait ainsi le nouvel ADN du business entré dans « l’âge de la responsabilité » selon les cinq niveaux d’évolution de la RSE qu’il décrit :

  1. La RSE défensive, appartenant à l’âge de la cupidité : préserver le partage de valeur pour l’actionnaire ;
  2. La RSE charitable, de l’âge de la philanthropie : financer des actions de mécénat déconnectées du cœur de métier de l’entreprise ;
  3. La RSE promotionnelle, de l’âge du marketing : améliorer son image de marque ;
  4. La RSE stratégique, de l’âge du management : intégrer une stratégie RSE engagée au cœur de l’activité ;
  5. La RSE systémique, de l’âge de la responsabilité : mettre en place de nouveaux modèles économiques pour lutter contre les phénomènes non-durables générés par son activité et avoir un impact positif au service de la société.

Christine Arena parle quant à elle de « High Purpose Company » pour High Purpose Companysignifier ces entreprises qui changent le business « TRULY Responsible and Highly Profitable. » Elle souligne un élément qui se révèlera chaque fois plus essentiel dans le management des entreprises au XXIème : c’est la « mission haute », la « vocation noble » de l’entreprise qui sera source d’engagement des salariés (cela donne sens, signification) et qui ordonnera (cela donne sens, direction).

Marc Halévy parle du « feu qui anime les entreprises, les vivifie, les fait s’épanouir et s’accomplir et sans lequel les structures et les organisations restent lettres mortes. » [voir article précédent]

Les concepts de business inclusif ou de Social Business ouvrent ainsi de nouvelles perspectives, en phase avec la plupart des principes de la RSE 2.0 : créativité et innovation, capacité à déployer, capacité à « penser global, agir local », circularité, contribution sociétale aux communautés, intégrité environnementale, partage équitable de la valeur.

Le Social Business, une voie de la RSE 2.0 qui facilite l’innovation au cœur de chaque métier

Résoudre des finalités sociales au cœur du métier de l’entreprise, dans une logique durable parce que rentable, en co-construction avec des acteurs de terrain, c’est favoriser l’innovation, l’intégration dans son écosystème et libérer des énergies autour d’initiatives porteuses de sens et significatives de la mission de l’entreprise.

Se préoccuper de son écosystème, repenser les business modèles, s’ouvrir à une part d’inconnu sur les modes de production et de consommation : les mutations en cours requièrent du courage, de l’audace et un changement de regard sur les pratiques habituelles des affaires. Le Social Business s’inscrit dès lors dans le cœur du métier de l’entreprise et favorise le renouveau de ses stratégies conventionnelles.

Social Business, core business.jpgBénédicte Faivre-Tavignot, directrice de la Chaire Entreprise & Pauvreté Social Business à HEC, indique clairement : « Les entreprises qui anticipent les tendances et savent se réinventer ont plus de chance de rester compétitives que celles qui continuent à faire du business ‘as usual’ ; et l’innovation sociale peut constituer un puissant levier pour les aider à penser en dehors du cadre. »

C’est ce que constatait aussi Maximilien Rouer du cabinet de conseil en Stratégie Économie Positive BeCitizen dans le hors-série de L’Express : « Même si elles restent encore rentables pour quelque temps, les stratégies fondées sur l’économie de la rente, sur des ressources naturelles illimitées et sur la compétition pour le seul profit, sont obsolètes. »

Le changement de modèle qui commence à émerger est également illustré par le lancement en octobre 2015 du Label B Corp en France sous l’impulsion d’Elisabeth Laville fondatrice du cabinet Utopies. L’objectif du label est de montrer que les entreprises (for profit) peuvent être mises au service de l’intérêt général (for purpose) et de mobiliser le pouvoir de l’entrepreneuriat au service du bien commun. [voir article sur B Corps] C’est une manière de donner un second souffle à une vision responsable

Innovation sociale : les nouvelles frontières de l’entreprise

Joël Tronchon.jpgJoël Tronchon, directeur du Développement durable du groupe SEB trace bien les nouvelles frontières de l’innovation sociale au cœur des métiers des entreprises dans cet édito de l’ARAVIS (Agence Rhône-Alpes innovation sociale) : « L’innovation ouverte  – ou open innovation – est un concept qui se généralise dans le monde de la R&D et qui consiste à innover en faisant appel à des coopérations et à des compétences extérieures à l’entreprise. Ce qui vaut pour l’innovation technologique vaut aussi pour l’innovation sociale : celle-ci passe de plus en plus souvent par un dialogue et une co-construction avec des parties prenantes extérieures qui rentrent dans la sphère d’influence de l’entreprise. Une approche qui constitue un des apports majeurs de la RSE à la performance de l’entreprise.

Faire appel aux entrepreneurs sociaux du réseau Ashoka pour revisiter des modèles économiques et sociaux (économie circulaire, économie du partage…) ou pour répondre à un besoin sociétal (l’accessibilité des personnes les plus fragiles aux biens et services…), mettre en place avec ses fournisseurs des clauses sociales dans les appels d’offre d’une politique d’achats responsables, mutualiser les besoins d’emploi et de compétences avec les entreprises d’un même territoire (GPEC-territoriale)… Autant d’exemples qui commencent à se formaliser dans les organisations sous l’impulsion « d’intrapreneurs sociaux » [voir article L’innovation peut venir de l’intérieur de l’entreprisecapables d’élargir les contours de l’entreprise traditionnelle et les frontières de l’innovation à de nouveaux acteurs.

Sans qu’on l’anticipe toujours, ces nouvelles pratiques ont un impact réel sur le contenu et le sens du travail. »

La nécessaire transformation managériale pour changer de paradigme

Si l’innovation sociale expérimentée localement par des équipes de terrain peut ainsi s’avérer une source d’avantage compétitif, notamment dans sa faculté à anticiper les signaux faibles de l’environnement, cela reste pourtant un chemin peu fréquenté. Face aux grandes mutations en cours de notre monde, la transformation des modèles passe nécessairement par une évolution des mentalités et des modes managériaux des organisations.

Pierre-Yves Gomez, dont l’analyse sur la disparition des dimensions subjectives et collectives du travail au profit de la seule dimension Le travail invisible, Pierre-Yves Gomezobjective développée dans son livre « Le travail invisible » [voir article précédent] ouvre à cette facette de l’innovation des relations sociales pour se réinventer : « Oui, il faut promouvoir l’innovation sociale en insistant sur trois points : ne pas être à la traîne de l’innovation technologique ; ne pas l’imposer de haut en bas ; la prendre au sérieux comme une source de performance à partir de la capacité créative qui se trouve déjà dans l’entreprise. L’enjeu actuel des entreprises est de se définanciariser, un peu comme on dit qu’il faut désamianter. Car, la financiarisation des dernières décennies est devenue toxique en rigidifiant les organisations par des règles, des normes, des contrôles qui finissent par détruire la valeur économique. Se définanciariser c’est donc rendre au travail son autonomie, limiter les contrôles au nécessaire et, en conséquence, innover socialement pour construire des formes adaptées d’organisation du travail. C’est que l’on voit de manière spectaculaire dans les « entreprises libérées » qui mettent à plat les hiérarchies mais surtout qui repensent la réalisation du travail et son autocontrôle par les salariés eux-mêmes. »

La RSE 2.0 peut ainsi s’avérer un puissant levier de création de valeur si elle accompagne un profond changement de paradigme de la vision du rôle de l’entreprise et de l’économie. Le point de vue de Wayne Visser est ainsi très proche de celui de Muhammad Yunus qui appelle à inventer un nouveau capitalisme, non fondé sur l’avidité qui finit par miner le système actuel et réduit l’Homme à une dimension unique exclusivement centré sur la recherche de son propre intérêt. « L’absence d’être, voilà ce dont meurt notre économie », nous disait Emmanuel Faber

Finalement, la RSE de l’âge de la responsabilité est une manière de revenir à l’étymologie grecque du mot ‘économie’, nomia, la règle, ce qui gère l’ensemble et oïkos, la demeure, là où je suis situé. L’économie c’est donc l’art de vivre ensemble. C’est un enjeu majeur de nos sociétés actuelles. 

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A la rencontre d’entrepreneurs qui changent le monde : 5 témoignages inspirants pour ouvrir de nouvelles voies…

Deux actualités récentes me permettent de revenir sur la soirée « Vivre l’économie autrement » d’octobre dernier : la sortie en France du livre de Thomas Graham « La richesse des pauvres » qui relate la formidable aventure de Tony Meloto et son ONG Gawad Kalinga pour éradiquer la pauvreté aux Philippines et le choix des 50 jeunes qui participeront aux Tour de France 2015 de Ticket for Change initié par Matthieu Dardaillon.

Matthieu Dardaillon, Tony Meloto

En effet, Tony et Matthieu étaient nos deux témoins invités pour la sixième édition des soirées « Vivre l’économie autrement » le 21 octobre 2014 au Centre du Hautmont près de Lille. A la pointe de l’innovation sociale, leur expérience a inspiré – en français et en anglais ! – les nombreuses personnes réunies autour du thème « A la rencontre d’entrepreneurs qui changent le monde et visent l’éradication de la pauvreté.« 

VLEA A la rencontre d'entrepreneurs qui changent le monde

Tony MelotoTony Meloto présente un parcours de vie et une personnalité étonnants et détonants : vice-président de Procter & Gamble, son questionnement sur les profondes inégalités de son pays l’amène à changer de vie. Il part à la rencontre de jeunes délinquants du plus grand bidonville de Manille. De cette immersion naîtra l’ONG Gawad Kalinga (GK) qu’il fonde en 2003. Le businessman y applique les principes de l’entreprise pour donner « ce qu’il y a de meilleur aux plus démunis. » Dix ans plus tard, c’est la première organisation du pays avec un million de bénéficiaires, plus d’un million de bénévoles et la construction de 2.500 villages. Le défi qu’il se propose de relever est ambitieux : débarrasser le pays de la pauvreté d’ici 2024 en aidant 5 millions de foyers à retrouver leur dignité. Sa méthode : une approche holistique de lutte contre la pauvreté en aidant sur la durée les gens à s’aider eux-mêmes, à partir de valeurs partagées avec des partenariats innovants associant multinationales, entreprises locales, particuliers, hommes politiques, jeunes professionnels et des entrepreneurs sociaux. Son approche illustre l’importance de décloisonner les acteurs qui n’ont pas l’habitude de collaborer pour apporter des réponses novatrices et efficaces.

> voir l’article précédent suite à mes précédentes rencontres avec Tony Meloto, bâtisseur de rêves et innovateur social

Walang IwananLe dicton philippin « Walang Iwanan » qui signifie ‘ne laisser personne en retrait’ est le principe de base du mouvement ; c’est un des enjeux majeurs du bien vivre ensemble de nos sociétés. Une autre tradition philippine est l’esprit de partage du bayanihan qui unit et fédère une communauté autour d’un objectif particulier, traditionnellement le déplacement d’une maison vers un nouvel emplacement. Dans cette courte vidéo (0’57’’), nous sommes invités à participer à la vision GK2024 d’éradication de la pauvreté en déplaçant l’ensemble des maisons des bidonvilles pour construire ensemble un avenir plus durable.

Des activités génératrices de revenus pour une autonomisation des personnes

« Dans notre plan d’éradication de la pauvreté, nous avons commencé par une première phase s’attaquant aux basiques de la justice sociale, ce que nous traduisons par : de la terre aux sans-terres, des maisons aux sans-abris et de la nourriture aux affamés. Avec tout un écosystème rassemblant les énergies, nous construisons des logements en dur pour créer des communautés d’une cinquantaine de maisons. Mais une fois sortis du bidonville, il faut faire en sorte que les familles soient autonomes et que les villages soient autosuffisants. C’est la deuxième phase de notre projet : favoriser la création d’activités professionnelles. Pour cela, il faut travailler sur deux fronts : l’éducation, un fort travail sur l’éthique et les valeurs pour éveiller la capacité créatrice et la responsabilité, car nous devons sortir de notre culture de l’assistanat et retrouver notre fierté et notre dignité, loin de la mentalité d’esclave dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer depuis des siècles. »

C’est la dimension « durable et soutenable » du volet justice sociale pour des actions pérennes dans le temps présentée par Tony. Pour cela, il sait qu’il faut rêver grand et favoriser les entrepreneurs qui ont la capacité de changer les façons de faire et de penser. C’est notamment la mission du Center for Social Innovation (CSI), l’incubateur de social business de GK. Pour illustrer cette dynamique entrepreneuriale, Tony est venu accompagné de trois entrepreneurs sociaux qui travaillent en lien avec Gawad Kalinga. Leur dynamisme et leur envie de faire bouger les lignes durablement nous donna témoignage marquant de réconciliation du social et du business, affichant également une conviction simple : chaque personne peut devenir un entrepreneur du changement générant un impact positif sur son environnement.Fabien Courteille, Freddie Tinga, Dylan Wilk, soirée Vivre l'économie autrement

Leur venue à Lille leur a permis de témoigner dès le matin lors de la plénière d’ouverture du World Forum Lille pour économie responsable, > voir ici leur intervention filmée.

Dylan Wilk, Human NatureDylan Wilk – Human Nature, la première multinationale sociale

Notre premier intervenant est le propre gendre de Tony, Dylan Wilk, jeune entrepreneur anglais à l’histoire singulière. Issu d’une famille anglaise pauvre du comté du Yorkshire, il abandonne à 16 ans ses études au lycée de Bradford et se lance très jeune dans l’entrepreneuriat. A 20 ans, il lance ICE, une entreprise de vente de jeux vidéo par correspondance qui connaîtra un succès fulgurant. Au bout de cinq ans, il est multimillionnaire après le rachat de son entreprise par Gameplay. « Je collectionnais les voitures de luxe, je me déplaçais en hélicoptère. J’avais tout pour être heureux, si être heureux c’est avoir toujours plus, mieux ou plus grand… mais un jour, à 25 ans, je me rends compte que je ne suis pas heureux. Une question m’empêche de trouver le sommeil « pourquoi suis-je riche ? » Et progressivement j’ai compris la différence entre ‘plaisir’ et ‘joie’. Le plaisir a toujours un prix, cela s’achète, mais c’est une soif qui ne peut pas être étanchée, à un moment il faut autre chose.» La neuvième fortune du Royaume-Uni des moins de trente ans part alors chercher des réponses à cette question existentielle dans un voyage en Asie du Sud-Est, à la rencontre d’acteurs de terrain. « En janvier 2003, je fais la rencontre de Tony Meloto et du projet Gawad Kalinga qui comptait quelques villages seulement. En rentrant en Angleterre, je décide de revendre une de mes BMW et de donner les 100.000 dollars à Gawad Kalinga. Mais Tony a refusé mon argent. C’est la première fois que cela m’arrivait. Il m’a dit « Je ne veux pas de ton fric. Reviens plutôt aux Philippines ! Il y a beaucoup plus dans ton cœur que dans tes poches. »

Dylan & Anna Wilk Meloto, Human NatureConvaincu que c’est quand vous offrez votre âme que vous gagnez vraiment, Tony Meloto l’incite alors à côtoyer les plus pauvres et à trouver des solutions avec eux et ainsi découvrir la joie de donner en étant au contact des gens. En 2008, Dylan s’engage dans le projet entrepreneurial Human Nature, une société de cosmétique bio. Avec sa femme Anna, la fille de Tony, et sa belle-sœur Camille, ils ont pour ambition de devenir la première entreprise sociale multinationale.

L’entreprise vise le développement des Philippines, des pauvres et de l’environnement. Human Nature privilégie fortement la consommation et la production locales : tous les produits finis sont essentiellement composés d’ingrédients philippins achetés à un prix équitable à des communautés Gawad Kalinga. L’entreprise développe des produits à forte valeur ajoutée afin de multiplier les revenus des producteurs : « tant que nos fermiers cultivent des produits sans valeur ajoutée, ils resteront pauvres. »

Dylan conclut : « Lorsque vous êtes alignés entre ce que vous êtes et ce que vous faites et que vous trouvez un sens profond à vos actions, vous êtes un entrepreneur joyeux ; la joie est un puissant moteur de changement. » Son témoignage nous offre ainsi un clin d’œil au nom de son entreprise en nous faisant entrevoir ce qu’est la « nature humaine »…

Freddie TingaFreddie Tinga, Global Electric Transportation, la révolution du transport en commun

Le deuxième témoignage révèle un parcours très différent. Freddie Tinga fut d’abord un homme politique philippin, maire de Taguig City, une commune de plus de 650.000 habitants du Grand Manille, puis député de son pays. Il démarre par une formule choc : « Quand vous êtes un homme politique, vous avez une bonne connaissance des problèmes de la société; mais si vous voulez y trouver des solutions concrètes, vous devez quitter la politique. Le système est trop centré sur la réélection. Vous oubliez alors les gens et leurs problèmes. Il est important d’avoir des leaders politiques qui donnent des orientations à la société. Mais ils doivent travailler en coopération avec les entrepreneurs. »

Intrigué par les réalisations de Gawad Kalinga, il a un jour assisté à un forum dans lequel intervenait « un type un peu fou avec une vision un peu folle qui faisait des logements pour les pauvres : Tony Meloto. Encore dans la politique, je lui ai demandé de l’aide pour lancer des projets Gawad Kalinga dans ma commune, mais il a d’abord refusé, me disant qu’il n’avait aucune confiance dans les hommes politiques. Côtoyer les projets de GK m’a progressivement amené à quitter le service public pour initier une entreprise au service du public. Mes douze ans de vie politique m’ont préparé à devenir entrepreneur social. Pour plus d’impact. »

Jeepney & GETAvec Ken Montler, un ancien de DaimlerChrysler, Freddie a lancé l’entreprise Global Electric Transportation qui construit des véhicules électriques pour offrir des solutions de mobilité durable pour le transport public tout en réduisant les inégalités sociales et en diminuant les problèmes de pollution. COMET (pour City Optimized Managed Electric Transport) est un véhicule zéro émission de 18 places. Il vise à remplacer les 55 000 Jeepneys en circulation à Manille, source de 85% de la pollution de la métropole où la mauvaise qualité de l’air est la cause de 12% des décès et coûte plus de 50 millions de dollars en frais médicaux. Derrière ce projet, les enjeux sont énormes : les études de l’OMS démontrent que la pollution de l’air des villes est responsable de plus d’1,2 millions de morts chaque année.

« Dans une mégalopole de 14 millions d’habitants, GET veut démontrer que l’on peut développer une entreprise sociale pour construire un monde meilleur, moins de pollution, un meilleur travail pour les chauffeurs et un meilleur service aux utilisateurs. Nous visons le remplacement de 20.000 Jeepneys par des COMET d’ici 5 ans. » Inspiré par la GK Way, Freddie donne consistance à l’esprit Walang Iwanan – ne laisser personne en retrait – et donner le meilleur pour les plus pauvres. Pour assurer une bonne qualité de service et de sécurité des passagers, les chauffeurs des bus sont formés par Gawad Kalinga. Pour le même prix de billet, tout est fait pour rendre fiers les utilisateurs de ce moyen de transport écologique : paiement par carte sans contact, caméra de sécurité, écran vidéo, wifi.

Fabien CourteilleFabien Courteille, Plush & Play, les premières peluches made in Philippines

En 2011, Fabien Courteille part en stage aux Philippines dans le cadre d’un Master Entrepreneuriat. En panne de modèle d’entrepreneur auquel se référer, il cherchait une manière d’entreprendre en phase avec ses valeurs. A 21 ans, il part donc découvrir Gawad Kalinga pour trois mois. Qui se prolongeront 6 mois, puis 12… cela fait maintenant cinq ans qu’il est sur place ! Il a rapidement désappris ses manières de faire « européennes » de projets bien planifiés « pour aider les gens » pour s’intégrer localement et agir à partir du besoin des personnes : « La première leçon que j’ai apprise, c’est de passer de « qu’est-ce que je peux faire pour eux » à « qu’est-ce qu’on peut faire ensemble », avec les ressources disponibles, sur le terrain. »

Vivant dans une Enchanted Farm de GK, Fabien prend conscience du savoir-faire en couture et confection des femmes du village, du temps où l’industrie textile était le premier employeur du pays, avant la délocalisation vers des pays voisins à la main-d’œuvre moins Plush & Play logocoûteuse. Pour créer des emplois locaux et choqué par le fait qu’aucun des jouets des enfants philippins n’étaient produits dans le pays, Fabien lance Plush & Play, une entreprise de peluches reprenant des personnages et des produits philippins.

Plush & Play, équipeLa vision de cette entreprise sociale qui veut promouvoir le droit des enfants à jouer et
restaurer la dignité des plus pauvres est ambitieuse: « devenir le leader des fabricants de
jouets philippins qui inspire la prochaine génération de jeunes héros, futurs bâtisseurs de la nation. » Une collection de livres et BD pour enfants en anglais et tagalog devrait compléter les nombreuses peluches afin de permettre aux enfants philippins de renouer avec leur culture et leur langue.

Par son témoignage, Fabien Courteille invite les participants à entreprendre leur vie : « Si je n’avais pas rencontré Tony, je serai en train de le chercher. Quelqu’un pour me dire qu’il n’y a pas d’âge pour être entrepreneur. C’est le type de personne qui change une vie. Se mettre au service de son prochain. C’est l’esprit Gawad Kalinga. Ce n’est pas dans vingt ans que j’ai envie de le faire. C’est maintenant. »

Ne cherchant pas à se mettre en avant, Tony a souhaité, avec Olivier Girault le représentant très actif de Gawad Kalinga en Europe, privilégier ces trois témoignages d’entrepreneurs sociaux désireux d’apporter des réponses nouvelles et efficaces aux problématiques sociales et environnementales. C’est justement ce type d’entrepreneuriat que Matthieu Dardaillon,  qui m’avait présenté Tony en 2012, souhaite promouvoir.

Matthieu Dardaillon, Tickef for ChangeMatthieu Dardaillon, 25 ans, initiateur de Ticket for Change

A 22 ans, cet étudiant à l’ESCP Europe effectue une année de césure déterminante pour la suite en partant avec son compère Jonas Guyot à la rencontre d’entrepreneurs qui changent le monde, dont Tony Meloto à Manille, I Say Organic un projet de ferme bio en Inde et La Laiterie du Berger au Sénégal. Tous les deux à la recherche d’une carrière porteuse de sens et insatisfaits d’un enseignement exclusivement centré sur le ‘comment’ éludant le ‘pourquoi’, ils décident d’aller Destination changemakersà la rencontre de ces entreprises qui concilient rentabilité économique et utilité sociale. Leur projet Destination Changemakers mené entre septembre 2012 et juin 2013 fera l’objet du livre « Ces entrepreneurs qui changent le monde » à leur retour.

A la rencontre des entrepreneurs qui changent le monde, Matthieu Dardaillon & Jonas GuyotFace à l’incapacité des acteurs traditionnels (privés, publics ou associatifs) de relever – seuls – des défis sociétaux de plus en plus complexes, ce livre illustre que la pratique entrepreneuriale appliquée au changement social permet de construire des solutions durables et à grande échelle. Les entrepreneurs sociaux sont des révolutionnaires pragmatiques : ils reconnaissent l’intérêt de l’économie de marché qui, lorsqu’elle est fondée sur de vraies valeurs, permet un développement économique, social et environnemental durable. Les profits ne sont alors qu’un moyen, pas une fin en soi, qui viennent sanctionner positivement l’accomplissement d’autres finalités.

Jagriti YatraLors de son passage en Inde, Matthieu a eu l’occasion de participer au Jagriti Yatra, un voyage-éveil autour de l’Inde qui regroupe chaque année 450 jeunes sélectionnés parmi 18.000 candidats pour susciter des vocations d’entrepreneurs sociaux et donner à ces jeunes indiens l’envie de construire le futur de leur pays. Un article dans la rubrique « Business & Sens » de L’Express plus tard, un soutien se manifeste pour en lancer une version française… C’est le démarrage de l’aventure Ticket for Change dont voici l’explication vidéo en 3’ par Matthieu

Ticket for Change logo« Notre objectif était de susciter des vocations d’entrepreneurs du changement auprès de jeunes avec le potentiel pour faire bouger les lignes et insuffler un vent d’optimisme en France. Pour nous, un entrepreneur du changement, c’est un individu qui cherche à résoudre un problème de société (accès à la santé, à l’éducation, au logement, protection de l’environnement,  etc.), en développant un projet avec un modèle économique pérenne.

Nous sommes convaincus qu’il est possible de faire bouger les choses en France et que de nombreux jeunes veulent participer à ce renouveau. Mais ils n’ont pas encore eu leur « déclic » et manquent en général de modèles inspirants. La première édition du Tour Ticket for Change a eu lieu pendant dix jours à la rentrée 2014 avec 50 jeunes de tous horizons, de bac -5 à bac + 5, déterminés, enthousiastes, capables de rêver et d’agir. Il s’agit de passer de l’envie à l’idée, puis progressivement de l’idée à l’action. A l’issue des dix jours, une vingtaine de projets ont été pitchés devant une salle comble et la Ministre de l’Education en personne ! Quelques mois après, une douzaine de projets sont en cours de réalisation.  »

La couverture presse fut large. Voici un article du Figaro de mars 2015 et en images le bilan du Tour 2014 (2’44’’):

La méthode en U avec ses phases d’inspiration, d’introspection et de passage à l’action est expérimentée (voir l’article sur Otto Scharmer sur le sujet) Cette même pédagogie a été utilisée pour diffuser cette expérience bien au-delà des 50 jeunes dans le MOOC MOOC Coursera HEC Ticket for Change« Devenir acteur du changement », un cours gratuit en ligne construit en partenariat avec HEC. A partir de février, ce cours a proposé pendant sept semaines aux apprenants de révéler leurs talents pour une action au service de la société.

Le bilan quantitatif comme qualitatif est éloquent : 19.000 personnes inscrites, 2.000 participants aux sessions live organisées dans différentes villes de France ; le nombre de personnes certifiées (9% des inscrits) est trois à quatre fois supérieur à la moyenne pour un MOOC. Au total, on dénombre 910 prototypes d’idées créés, 700 business models conçus et 320 pitchs vidéos réalisés dont 150 sélectionnés et suivis. Le groupe Facebook rassemble plus de 11.000 membres et continue à nourrir les échanges jusqu’à aujourd’hui. Cela illustre l’engouement manifeste pour le fait d’entreprendre autrement.

Corporate for change, réinventer l'entreprisePour le Tour 2015, en plus des 50 jeunes, une dizaine d’intrapreneurs sociaux sera de l’aventure, dans le cadre du programme Corporate for Change.

Après la pédagogie du passage de l’envie à l’idée, un enjeu majeur est le passage de l’idée à l’action par un accompagnement spécifique : c’est l’enjeu du programme Ticket for Action.

En guise de conclusion, je reprends ici les mots d’un parrain du Tour 2015 de Ticket for Change, Nicolas Hulot, qui situe son engagement dans la recherche enthousiaste, créative et déterminée de solutions nouvelles aux problèmes de notre temps :

Nicolas Hulot, parrain Tour Ticket for Change 2015« A chaque ancrage de terrain qui m’est donné de vivre, je ne doute pas que, par petites touches, un petit groupe d’individus conscients et engagés puisse changer le monde. Historiquement, c’est toujours de cette façon que le changement s’est produit, comme l’évoque l’anthropologue, Margaret Mead.

Il est parfois des projets qui battent en brèche tous les défaitismes et vous réconcilient avec le monde. Ticket for Change en fait largement partie.

« Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », disait Aristote et ce pourrait être la devise de Ticket for Change. S’inspirant d’une expérience qui lui a réussi, Matthieu Dardaillon s’est donné pour mission d’aider des individus issus de la diversité de la France à devenir acteurs de leurs vies et à développer des projets entrepreneuriaux, porteurs de sens, pour répondre aux enjeux fondamentaux de notre temps.

Plus que jamais, nous avons besoin d’une génération qui ose, se responsabilise et se mette en marche pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux avec des solutions concrètes et innovantes. Sortir des sentiers battus, combiner enthousiasme, créativité et mobilisation, c’est la partition qu’a choisi de jouer Ticket for Change et que nous pouvons tous partager. Son Tour 2015, que je suis heureux de parrainer, contribue à faire émerger un nouveau modèle de société, où les bonnes idées de quelques-uns deviennent la chance de tous. »

Nicolas Hulot, Président de la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme

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A l’école des femmes, le monde serait meilleur. Il est urgent de donner sa juste place au féminin !

« Des femmes et des hommes » : un long métrage inspirant

En 2013, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, exprimait son inquiétude : « Les objectifs du Millénaire fixés par les Nations Unies risquent de ne pas être atteints, notamment parce que les droits des femmes reculent dans le monde. Le monde ne pourra jamais atteindre pleinement ses objectifs si la moitié des habitants de la planète ne sont pas en mesure de réaliser leur potentiel. C’est en libérant le pouvoir des femmes que nous pourrons garantir l’avenir de chacun et relever les défis du développement. »

Alors que l’idée de l’égalité entre les hommes et les femmes semblait progresser, lentement mais sûrement, cette surprenante déclaration laisse entendre que sur le terrain, la condition des femmes se détériore jour après jour. C’est ce qui a poussé FrédériqueFrédérique Bedos, Le Projet Imagine Bedos à vouloir comprendre pourquoi une telle régression de leurs droits de par le monde. La pétillante journaliste voulait aussi évaluer l’impact de cette inégalité sur les équilibres économiques et sécuritaires dans le monde. Pendant une année, cette journaliste d’impact est ainsi partie à la rencontre de personnalités de l’ONU, d’experts internationaux et d’observateurs des droits des femmes dans différents pays. En décembre 2014, Frédérique a eu la bonne idée de nous inviter à assister à la projection privée du long métrage « Des femmes et des hommes » qui retrace ces rencontres. Authentique, profond et émouvant, ce film propose une réflexion globale sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le monde. Loin des discours idéologiques, les réflexions et recherches de chaque intervenant posent un diagnostic lucide, parfois dérangeant, mais qui donne envie d’agir.

Affiche Des femmes et des hommesCe film révèle aussi l’intérêt majeur de l’empouvoirement des femmes et l’enjeu du gender equality pour résoudre les grands défis du XXIème siècle. Il a été produit et réalisé dans le cadre du média philanthropique Le Projet Imagine que Frédérique Bedos a créé pour mettre en lumière tous les héros anonymes qui, dans l’ombre, changent la vie des autres (> voir articles précédents sur le sujet). Réalisé grâce à des dons et à l’engagement bénévole de nombreuses équipes techniques, ce documentaire a donc pour principale vocation de faire bouger les lignes et de montrer que la terre tournerait plus rond si les femmes étaient égales aux hommes. C’est même une voie essentielle de progrès économique et social pour toutes et tous !

CEDAW, ONU Femmes, FAOTrois institutions de l’ONU ont participé activement à ce documentaire : le CEDAW (Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes), ONU Femmes et la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Dans le cadre des manifestations pour la Journée Mondiale de la Femme célébrée le 8 mars de chaque année, ce film poignant et résolument optimiste, a été projeté cette année au Palais des Nations de Genève ainsi qu’à l’ONU à New York quelques jours plus tard.

Il a été diffusé sur TV5 MONDE dont le site permet la visualisation en ligne :

Vidéo Des femmes et des hommes

Choisissez votre moment et prenez une heure pour le voir ! > cliquez ici

Comme pour ses portraits des héros Imagine, Frédérique réussit à mettre les personnes qu’elle interviewe en confiance pour qu’elles « se racontent » de manière vraie en livrant à la fois un témoignage personnel et une profonde réflexion. L’excellent travail de montage permet d’entrevoir l’âme de chacun, de partager un constat et de stimuler la volonté d’agir pour créer un autre art de vivre ensemble.

Sans être exhaustif, voici quelques fioretti et figures du film :

Améliorer la vie des générations futures  

Phumzile Mlambo-NgcukaPhumzile Mlambo-Ngcuka, secrétaire générale adjointe de l’ONU et directrice exécutive d’ONU Femmes, est convaincue que les principaux défis de notre temps : la pauvreté, les inégalités, le changement climatique, la paix et la sécurité, ne pourront être adressés sans l’autonomisation des femmes : « Pour que le monde réduise la pauvreté de manière durable, la vie des mères doit être améliorée, car elles pourraient alors s’occuper de la qualité de vie de leurs propres enfants et donner une vie meilleure à leur progéniture et à la génération suivante. Si on ne fait pas ce travail avec les femmes, elles donneront naissance à la génération suivante de pauvres. Le monde doit parvenir à la pleine égalité afin que l’humanité puisse prospérer. »

100 millions d’affamés en moins !

Marcela VillarrealMarcela Villarreal, une des directrices de la FAO, indique que « au même niveau d’études et d’expérience, une femme aura un salaire nettement inférieur à celui d’un homme. Ce n’est pas uniquement un problème de pays pauvres : c’est vrai pour le monde entier. Or, les femmes ont tendance à utiliser leurs revenus de façon beaucoup plus significative pour nourrir leur famille. Si le salaire des femmes augmente, nous savons donc qu’une grande part serait utilisée pour la santé de leurs enfants, leur bien être et leur éducation. C’est donc le meilleur investissement dans l’avenir de la société ! »

En 2014, 840 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde. Le travail agricole est effectué tant par les hommes que par les femmes. Cependant, ce sont les hommes qui ont accès à tout ce dont on a besoin pour être productifs : les terres, l’accès aux fertilisants, aux intrants, à l’eau, aux crédits, aux nouvelles méthodologies pour produire mieux, etc. Si les femmes produisent 50% de la nourriture sur la planète, elles ne perçoivent que 10% des revenus et 1% de la propriété (source Unicef 2007).

Les projections de Marcela Villarreal démontre qu’une égalité sur les moyens de production améliorerait la malnutrition de près de 100 millions de personnes : « Si les femmes avaient accès aux mêmes ressources de production dans le secteur agricole que les hommes, elles deviendraient plus productives. Ces augmentations de productivité conduiraient à une augmentation considérable de la production alimentaire dans son ensemble. Les effets sur l’ensemble de la société seraient spectaculaires, énormes. Plus de cent millions de personnes sortiraient de la faim. »

Objet de droit ou sujet de droit

Nicole Ameline, CEDAWNicole Ameline, présidente du CEDAW-ONU, replace le droit des femmes en tant que question de société et de démocratie, et même de paix, « bien au-delà du ré-équilibrage social ; il s’agit d’une démarche de progrès, d’humanité. Il faut donc en faire un sujet universel. Pendant longtemps, dans un monde d’hommes, construits par les hommes pour les hommes, les femmes ont été des objets de droit et pas des sujets de droit. Cette conscience d’être un sujet de droit n’est malheureusement pas encore assez ressentie dans le monde. […] Les femmes doivent accéder à des postes de gouvernance. Le pouvoir est déterminant. A la tête d’une entreprise ou d’un pays, il est essentiel que les femmes soient présentes. Si elles se contentent de postes importants mais non décisionnels, nos démocraties ne pourront pas changer durablement. Le pouvoir doit être aussi féminin. »

« Un Lehman Sisters aurait causé moins de problèmes qu’un Lehman Brothers »

Vous retrouverez aussi dans ce film le témoignage de Patricia Babizet, directrice générale d’Artémis, qui invite à croire que le système peut (doit) complètement changer pour que « les femmes ne fassent pas juste comme les hommes, en copiant leurs comportements. » Elle mentionne aussi la question soulevée par Christine Lagarde, directrice du FMI : « Que serait-il arrivé si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters ? » en allusion à la faillite de la banque d’affaires américaine qui a précipité la crise financière de 2008.

Christine Lagarde ajoutait d’ailleurs que le monde n’aurait pas connu le degré de tragédie que nous avons eu à la suite de cette faillite liée à des prises de risque inconsidérées, fruit de comportements très masculins. La testostérone caractérise le monde impitoyable des salles de marché. Le profil endocrinien des traders – de jeunes hommes vivant dans l’instantanéité permanente – sont une cause importante des emballements boursiers. Le point de vue de la directrice du FMI rejoint de nombreuses études qui montrent que l’égalité entraîne l’amélioration des conditions économiques et sociales pour l’ensemble des membres de la société. Voir le rapport de l’ONU et celui du World Economic Forum de Davos.

Faillite des banques islandaises : toutes sauf une !

Un autre exemple intéressant est celui de l’Islande. Cette île volcanique de l’Atlantique Nord de 320.000 habitants a souffert de la crise financière de 2008 de manière très brutale, mettant le pays en situation de faillite (> ici pour en savoir plus). En effet, dans ce pays sans chômage dont le PIB par habitant était parmi les plus élevé au monde, le système bancaire, privatisé aux débuts des années 2000, constituait le secteur de pointe avec le tourisme. A la tête de ses banques, les «nouveaux Vikings» avaient multiplié les opérations risquées à l’étranger, allant jusqu’à engager dix fois le PIB de l’île. L’effet domino fut immédiat, toutes les banques firent faillite et durent être nationalisées, le poids de la dette étant réparti sur ses citoyens.

Audur Capital logoUn jeune établissement bancaire a résisté au naufrage : Audur Capital, dont le nom évoque un prénom féminin qui signifie «fortune.» Cette banque a été fondée en 2007, un an avant la crise, par trois femmes d’expérience dans le milieu financier Margit Robertet, Halla Tomasdottir et Kristin Petersdottir. Leur credo : le «risque responsable», qu’elles opposent frontalement aux méthodes de la finance masculine. Elles avaient osé afficher d’autres critères, d’autres valeurs, d’autres priorités.

Changer de grille de lecture : oser le féminin

Valérie Colin-SimardValérie Colin-Simard, psychologue, coach et auteur de plusieurs livres sur le sujet dont « Quand les femmes s’éveilleront » et « Masculin, féminin, la grande réconciliation » invite à retrouver l’équilibre entre masculin et féminin : « Les principes du féminin restent considérés comme inférieurs aux principes du masculin. Notre grille de lecture n’a pas changé. Nous continuons trop souvent d’admirer et parfois même de donne tout pouvoir à l’intellect, aux chiffres, à la force, la logique, l’action, la rentabilité, la productivité, valeurs dites masculines et considérées comme sérieuses… Et nous reléguons à un rang secondaire, dénigrons ou parfois même méprisons nos émotions, notre vie privée, l’amour, l’intériorité, le lien aux autres – valeurs dites féminines. Nous accordons de la valeur à ce que nous avons, à ce que nous faisons. Bien moins à ce que nous sommes. » Or ces deux aspects font partie de notre humanité profonde. Il ne s’agit donc pas de passer d’un système de valeurs à l’autre mais d’apprendre à conjuguer ces deux facettes.

Oser être soi et percer le plafond de verre intériorisé avec le Programme EVE de leadership féminin

Anne Thévenet-AbitbolEn 2009, un séminaire interne de leadership féminin est organisé par Anne Thévenet-Abitbol, directrice Prospective et Nouveaux Concepts de Danone. Le diagnostic d’une responsabilité partagée entre l’entreprise et les femmes y est posé : l’entreprise doit favoriser l’égalité dans les opportunités de carrière proposées aux hommes et aux femmes, les femmes doivent davantage oser être elles-mêmes pour percer le plafond de verre. C’est l’origine du programme EVE, un séminaire de management à destination des entreprises autour du leadership féminin, centré sur les femmes et ouvert aux hommes. Il vise à contribuer à la construction d’individus forts et inspirants, en nombre suffisant dans l’entreprise pour leur permettre d’y porter le changement. Le blog du programme EVE promeut ce leadership féminin et la mixité en Programme EVE, le blogentreprise, à la fois comme facteur de développement individuel comme de performance collective. Il s’est évidemment fait l’écho du documentaire ‘Des femmes et des hommes’ en interviewant Frédérique Bedos : « Nous ne relèverons aucun défi de notre temps sans prendre à bras le corps la question de l’égalité entre femmes et hommes. »

Quand les hommes se mettent à l’école des femmes, les résultats durables sur les progrès économiques et sociaux sont là ! L’égalité des sexes et l’autonomisation économique des femmes figurent ainsi dans les huit Objectifs du Millénaire pour le Développement et sont même considérées comme un levier clé pour atteindre les sept autres objectifs. Les défis restent importants pour que l’autonomisation économique des femmes soit reconnue comme un droit fondamental appliqué partout.

Dans les organisations et le management des entreprises, la conscience du « manque à gagner » lié au déficit de femmes dans les comités de directions et équipes dirigeantes ne semble pas encore assez forte pour impulser un changement rapide et durable de leur représentation dans les postes de pouvoir.

La complexité, l’incertitude et la rapidité des changements de notre monde doit nous inciter à oser le féminin car le chemin de l’intériorité, du sens et de l’être, propres aux valeurs féminines doivent compléter l’engagement dans l’action plus masculin. La gestion des organisations de plus en plus en réseau est en train de modifier profondément la nature du pouvoir et la conduite des entreprises. Dans un environnement aussi instable, les valeurs masculines comme la rationalité, la force ou l’autorité hiérarchique et statutaire ne suffisent plus. Elles doivent être conjuguées par l’expression des valeurs féminines d‘écoute, de souplesse, de créativité, d’ouverture, de persuasion ou d’influence oblique. Ceci est valable tant pour les hommes que pour les femmes. Dans la vie privée comme dans la vie professionnelle.

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En finir avec la « double vie » des salariés : adultes responsables dans leur vie privée et infantilisés au travail. Comment libérer les énergies ?

Bonne nouvelle ! Le travail des enfants est interdit en France. En conséquence de quoi, les collaborateurs de nos organisations sont tous majeurs et responsables. Revenir sur Adultes responsables au travailcette évidence a de quoi surprendre, pourtant c’est une vérité importante à rappeler dans le management de beaucoup d’entreprises… Ainsi, dans leur vie privée, les salariés, quelque soit leur niveau d’études, leur ancienneté ou les responsabilités qu’ils exercent, se comportent généralement comme des personnes responsables, capables de choix qui les engagent durablement. Certains s’investissent dans le milieu associatif et assument le soir ou le week-end l’animation de plusieurs dizaines de jeunes dans des clubs sportifs ou culturels. Ils sont capables de faire des achats conséquents et d’en trouver le financement associé. D’autres s’engagent sur vingt ans auprès d’une banque pour acheter leur logement. Il y en a même qui font le choix d’élever des enfants, une responsabilité qui court d’ailleurs bien au-delà de leur majorité légale à 18 ans…

Changeons le sas d’entrée de nos entreprises !

Et pourtant… telles les portes de l’usine de Willy Wonka dans ‘Charlie et la chocolaterie’, le sas d’entrée des entreprises semble avoir le pouvoir magique de nous emmener dans Willy Wonka, Charlie et la chocolaterieun autre monde. Ces adultes capables d’assumer en toute autonomie des responsabilités engageantes et durables se retrouvent réduits à un état infantile voire parfois infantilisant. Contrairement aux Oompas-Loompas dans le même conte de Roald Dahl où les ouvriers sont des modèles réduits venus d’Oompaland, la porte d’entrée magique ne modifie pas l’apparence de ces adultes responsables. Rien ne laisse présager de l’extérieur la régression systématique à laquelle ils sont soumis (ou à laquelle ils se soumettent). Cette soudaine déresponsabilisation des personnes est le fruit de modes de fonctionnement propres à l’organisation et également de comportements établis et perpétués « presque sans y penser » !

Tout le monde s’accorde sur le fait que les salariés sont sensés être des adultes. Sur le papier, aucun manager ne s’opposera ouvertement au fait que responsabiliser est une bonne chose. Mais, insidieusement, consciemment ou pas, la confiance dans la capacité créative d’une responsabilité assumée manque souvent à l’appel. C’est ce que rappelait Claude Onesta, sélectionneur de l’équipe de France de handball dans un article récent à propos de son management : « Tous les gens que je croisais me disait « oui, oui, responsabiliser les joueurs, c’est vachement bien, ton truc », mais je suis persuadé que, dès que je tournais le dos, ils se marraient. »

Dans un monde qui bouge, on a besoin de chacun pour être performant !

Frédéric LippiFrédéric Lippi qui base le management de son entreprise de clôture et grillage métallique sur la présomption de confiance, « non pas par naïveté mais par efficacité », nous rappelait lors d’une soirée Vivre l’économie autrement : « Dans un monde extrêmement erratique, l’entreprise a besoin de prises d’initiative autonomes pour résoudre les problématiques de ses clients. On peut tous être entrepreneurs dans une organisation. Entreprendre, c’est prendre des décisions. Comme on est habitué à le faire dans notre vie privée, on est à même de le faire dans notre vie professionnelle. Pour cela il faut construire une culture de la décision, de l’essai et de l’erreur, pour considérer chaque collaborateur comme un adulte responsable, entrepreneur de son entreprise. »

La gestion responsable de notre vie personnelle ne semble pas s’exercer aussi naturellement dans nos « responsabilités » au travail. Un exemple pour illustrer ce propos…

Un contrôleur de gestion d’une cinquantaine d’années au sein du département commercial d’une grande entreprise souhaitait participer à une journée de séminaire lui permettant de mieux mettre en lien les chefs de projets de sa direction avec des ressources extérieures d’un laboratoire d’innovation. Pour prendre sa décision, il eut une réaction habituelle : « Il faut que j’en parle à mon chef, c’est bien normal, non ? » Quelle ne fut pas sa surprise lorsque son interlocuteur lui répondit « Je ne sais pas si c’est normal… Je dirais même qu’étant donné la charge de travail de « ton chef », lui apporter les éléments devant l’amener à prendre une décision de plus dans sa journée Chef j'ai un problèmen’est pas très pertinent ! » Deuxième surprise et un début de prise de conscience : ne pas prendre mes responsabilités pourrait ainsi signifier une charge de travail inutile non créatrice de valeur ? S’ensuit alors une brève tentative de justification « Oui, mais là, c’est un peu particulier, cela sort de l’ordinaire de mon travail de bureau, ce n’est pas mon cœur de métier ! » Si apporter des ressources créatrices de valeur à des équipes de travail n’est pas le cœur de métier d’un contrôleur de gestion, alors… d’autres questions peuvent se poser ! (ce sont les fameux 4 ou 5 pourquoi de Jean-François Zobrist > voir ici) Et comme pour enfoncer le clou, le contrôleur de gestion fut invité à prendre contact avec « son chef » au retour de l’expérience pour lui partager les nouvelles actions à mettre en œuvre ou l’inviter à se rendre lui-même dans ce lieu créateur d’avenir. C’est ce que ce contrôleur de gestion finit par faire, certainement très heureux de regagner des espaces d’autonomie et de légitimité dont il s’était bien malgré lui privé au fil du temps…

La « double vie » des salariés comme principale cause de leur désengagement

Ainsi le désengagement des salariés, qui concerne 9 français sur 10 au travail, semble avoir comme principale cause leur « double vie » : d’une part une vie personnelle où ils disposent d’une liberté d’action et d’une flexibilité importantes, avec un accès facile à tout type d’information, des décisions engageantes sur le long terme et la participation dans divers engagements associatifs ou citoyens ; de l’autre, une vie professionnelle, rythmée par une transhumance quotidienne aux heures de pointe pour respecter des horaires bien précis, des standards technologiques peu ergonomiques pour une information finalement peu accessible malgré une « infobésité » galopante avec des dizaines de mails par jour sans être en mesure de communiquer et de collaborer efficacement, sous les impulsions d’une hiérarchie en mode command and control, qui fait se sentir comme un simple rouage d’une mécanique qui nous échappe, où il faut faire tamponner plusieurs autorisations ne serait-ce que pour acheter une chaise de bureau à moins de 100€.

S’affranchir des modèles hérités du passé et… du Droit !

FW Taylor, the principles of scientific managementLa pensée de l’ingénieur américain Frederick Winslow Taylor qui a laissé son nom à l’organisation scientifique du travail du début du XXème siècle, le taylorisme, imprègne encore fortement certains modes managériaux, séparant les sachants des exécutants avec une phrase restée célèbre : « Je vous emploie pour votre force et vos capacités physiques. On ne vous demande pas de penser : il y a des gens payés pour cela. » Un siècle plus tard, un employé d’un grand groupe de distribution français ne décrivait pas autre chose lorsqu’il déclara dans son discours de départ à la retraite : « Pendant trente ans, vous avez payé pour avoir le travail de mes bras. Pour le même prix, vous auriez pu avoir aussi ce que j’avais dans la tête ! » (déjà cité dans l’article Qu’est-ce qui nous rend humains ?)

My Tayor est mortIsaac Getz qui avait pourtant écrit un article « My taylor is mort » pour signifier l’enjeu de l’abandon du command & control pour profiter pleinement de la force de « ceux qui savent parce qu’ils font », rappelait néanmoins récemment combien le droit français ne facilitait pas la tâche d’une transition vers une responsabilisation croissante des salariés d’une entreprise. En effet, le pouvoir de donner au travailleur des instructions, des ordres et des directives, de les faire appliquer, de contrôler l’exécution du travail et d’en vérifier les résultats, de sanctionner les manquements du travailleurs, caractérisent une situation d’employeur pour le donneur d’ordre et de salarié pour le travailleur. C’est ce que la Cour de cassation a précisé dans un arrêté du 13 novembre 1996 : « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le devoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. » La source du désengagement peut ainsi trouver certaines racines dans le droit du travail et s’engager de manière responsable et autonome dans son travail pourrait s’apparenter à un début de désobéissance civique ?

La caricature de ce management « qui a tendance à compliquer le travail des gens » est remarquablement décrite par Bernard Blier dans le rôle de Léon Dessertine, patron d’un commerce de viande en gros dans le film comique Un idiot à Paris dont voici un extrait en 52’’ 

Transformons l’espace intérieur à partir duquel nous manageons  (réflexions à partir de quelques citations) 

« Il n’y a pas de performance sans bonheur. Pour être heureux, il faut être responsable. Pour être responsable, il faut avoir la liberté du ‘Comment’ » nous dit Jean-François Zobrist. Cela demande un certain courage des managers pour lâcher prise. En effet, « il n’est pas facile de sacrifier son pouvoir de dire aux autres « comment » faire et de se cantonner à partager avec eux la vision haute et ambitieuse de l’entreprise » (Isaac Getz).  Albert Einstein écrivait déjà il y a un demi-siècle : « La raison la plus motivante de travailler se trouve dans le plaisir que l’on y trouve, dans le plaisir du résultat atteint, et dans la connaissance de la valeur de ce résultat pour la communauté. »

Selon Bill Gore, « le rôle d’un manager-leader d’obtenir des salariés qu’ils s’auto-animent et arrivent à assurer eux-mêmes la bonne marche de leurs activités. » Ce n’est pas un hasard si l’entreprise W.L. Gore, connue notamment pour son tissu imperméable et respirant GORE-TEX, est arrivée à la 4ème place sur la liste 2014 des Meilleures entreprises multinationales où il fait bon travailler dans le monde. Son actuelle PDG Terri Kelly déclare : « En encourageant un environnement où les employés se sentent motivés, engagés et passionnés par le travail qu’ils font, nous pouvons mieux puiser dans notre potentiel et créer des produits innovants qui font vraiment la différence au niveau mondial. »

Kevin Roberts (Saatchi & Saatchi) précise : « Au XXIème siècle, pour atteindre des niveaux élevés de performance, une organisation doit créer des conditions telles que ses acteurs libèrent leurs énergies. Il ne s’agit plus de manager ni de diriger, il s’agit d’être ensemble en co-inspiration. » Jiro Kawakita illustre cette ‘autonomie responsabilisante’ par cette image : « Si tu veux faire traverser une rivière aux gens, d’abord, fais-les rêver sur la beauté de l’autre rive, puis veille à ce que personne n’ait peur de l’eau, apprend-leur à nager et alors ils traverseront tout seuls. »

Ainsi comme le rappelle Otto Scharmer (Théorie U), « L’essence du leadership est de transformer l’espace intérieur à partir duquel nous fonctionnons individuellement et collectivement. »

Revenir au bon sens créateur de valeur

Logo NordstromLa chaîne américaine de grands magasins Nordstrom a une histoire qui peut être inspirante. Née à Seattle au début du XXème siècle, cette boutique de chaussures s’est progressivement développée pour devenir une chaîne de grands magasins. Cette entreprise familiale s’est construite sur de fortes valeurs. A l’aube de son centenaire, les ventes ont commencé à fortement décliner et la quatrième génération aux commandes de l’entreprise décida de transformer le management de l’enseigne, en inversant la pyramide de l’organisation. Ainsi, à partir des années 2000, les nouveaux employés étaient d’abord recrutés sur la base de leur personnalité et de leurs valeurs plus que sur leurs seules expériences professionnelles. Un effort important dans la formation des vendeurs a été opéré. Et les ventes sont reparties !

Pendant ces années, les nouveaux salariés recevaient un Manuel d’intégration qui a beaucoup fait parler de lui : contrairement aux books d’intégration en plusieurs tomes, le « Employee Handbook » de Nordstrom tenait en 75 mots et une règle unique : « Utilisez votre bon sens en toutes circonstances »Nordstrom Employee Handbook, our one rule

« Bienvenue chez Nordstrom

Notre objectif numéro un est de fournir un service exceptionnel à notre clientèle. Placez haut la barre de vos objectifs personnels et professionnels. Nous avons toute confiance dans votre capacité à les atteindre, c’est pour cela que notre manuel d’intégration est très simple. Nous n’avons qu’une règle…

Notre seule règle : « Utilisez votre bon sens en toutes circonstances »

S’il vous plaît, sentez-vous libre de poser toute question, à tout moment, à votre chef de service, au directeur de magasin ou aux Ressources humaines. »

Une entreprise libérée, c’est quoi ?

Contrairement à la logique classique du management hiérarchique command & control en vigueur dans la majorité des organisations, le leader d’une entreprise libérée veille à ce que les collaborateurs puissent décider eux-mêmes de leurs propres choix qui vont les mener vers la performance.

Une entreprise libérée c’est une organisation où les salariés sont libres et responsables d’entreprendre toutes les actions qu’ils estiment les meilleures pour l’entreprise. Cette animation co-écrite par Isaac Getz en donne une définition en 1 minute ! 

Une des entreprises qui a ouverte la voie il y a 30 ans à ce mode de management est FAVI,  fonderie picarde d’alliage cuivreux de 400 salariés, qui a supprimé sept niveaux hiérarchies et a réorganisé sa production en mini-usines autogérées. Le reportage Question de confiance de 52 minutes de François Maillart, qui a tourné pendant plus d’un an la vie de cette entreprise a été diffusé sur France 3.  : 

L’excellent reportage de Martin Meissonnier « Le bonheur au travail » diffusé sur ARTE le 24 février dernier offrait également de nombreuses illustrations inspirantes d’entreprises qui basent leurs performances sur le bonheur de leurs salariés.

En finir avec la « double vie » des salariés : plus qu’une aspiration personnelle, une (r)évolution nécessaire pour durer !

Les modes d’organisation et les pratiques de management ont peu évolué depuis plus d’un siècle. Le schéma majoritaire repose encore souvent sur quelques sachants qui déterminent les grandes orientations et disent ce qu’il faut faire à des exécutants. Dans un monde de plus en plus complexe et qui évolue de plus en plus vite, il faut plus que jamais un engagement et une implication de tous les collaborateurs pour réinventer les métiers de l’entreprise et les modèles d’affaire qui les sous-tendent. Pour atteindre des niveaux élevés de performance, il faut libérer les énergies des acteurs et faciliter l’émergence des idées parmi ses salariés. Les engagements et responsabilités dont font preuve les femmes et les hommes de nos organisations dans leur vie privée doivent nous rassurer sur cette énergie créative latente qui ne demande qu’à être exprimée. Le retour au bon sens est sûrement une voie à emprunter. Cela demande un pas de confiance personnel du manager vis-à-vis de ses équipes et peut-être surtout vis-à-vis de lui-même. Car comme le rappelle Pierre Rabhi : « Il n’y aura pas de changement de société sans changement humain. Et pas de changement humain sans changement de chacun. »

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L’intrapreneur social, le mouton à cinq pattes du monde de l’entreprise ?

Dans un article publié dans L’Express le 13 février, Jonas Guyot et Matthieu Matthieu Dardaillon Jonas GuyotDardaillon, contributeurs de la rubrique Business & Sens du magazine analysent cinq paradoxes des intrapreneurs sociaux, ces salariés qui transforment leurs entreprises de l’intérieur : agiles dans des structures rigides, utopistes et pragmatiques, explorateurs diplomates, passionnés mais patients, « classiques » alternatifs…

Philippe MalleinCette lecture par les paradoxes rejoint une approche chère au sociologue Philippe Mallein, spécialiste de l’innovation par les usages, en grande partie synthétisée dans sa méthode CAUTIC (Conception Assistée par l’Usage pour les Technologies, l’Innovation et le Changement) pour laquelle il reçut le prix Cristal du CNRS en 1999. Aujourd’hui conseiller scientifique au CEA au sein d’IDEAS Laboratory, il s’intéresse aux signaux faibles du changement social et culturel pour identifier les nouveaux usages, dans les offres produit et service mais aussi dans la transformation managériale qui doit accompagner tout processus d’innovation dans les entreprises.

Cet article fait écho à l’article « Corporate changemakers » sur les intrapreneurs sociaux qui font bouger les lignes au sein de leur organisation en inventant de nouvelles façons de créer de la richesse.

Je reprends ici l’intégralité de l’article publié sur L’Express, fier d’y figurer aux côtés d’Emmanuel de Lutzel, Olivier Maurel et François Rouvier…


« Les plus grands agents de changement sociétal ne sont probablement pas les entrepreneurs sociaux, aussi intéressants soient-ils… Il y a de grandes chances que ce soient des personnes très raisonnables, travaillant pour des grandes entreprises, qui Logo The Economistvoient des manières de concevoir des meilleurs produits ou d’atteindre de nouveaux marchés, et qui ont les ressources pour le faire », écrivait en 2008 The Economist, en référence aux intrapreneurs sociaux.

Ces individus évoluent dans une grande organisation qui souhaite, par la mise en œuvre d’un projet spécifique, transformer « de l’intérieur » les comportements et les métiers de l’entreprise vers une meilleure prise en compte de son impact social ou environnemental,Logo Mouves. d’après la définition du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves). Les intrapreneurs sociaux sont une espère rare, encore méconnue. Leur tâche n’est pas aisée: ils doivent inventer des activités en lien avec le cœur de métier de leur entreprise, avec un modèle économique sans pertes, dans le but de faire bouger les lignes au sein de grandes structures souvent difficiles à faire changer.

« Le danger ? Perdre son rêve en route ! »

Devenir intrapreneur social est un long parcours, comme l’explique Emmanuel Faber, directeur général de Danone: « Il n’y a pas besoin d’être le patron pour changer l’entreprise. Chacun peut, à sa mesure, très vite, dans les limites des leviers Emmanuel Faberque lui donne sa fonction, utiliser des marges de manœuvre: elles existent toujours, même si tout porte à nous faire croire l’inverse. Encore faut-il avoir l’envie de les repérer, de les utiliser, pour infléchir le cours des choses. Encore faut-il aussi accepter de remettre en cause nos convictions en les confrontant à la réalité. Attention à nos grands principes, qui sont parfois des peurs ou des intolérances. »

« Le danger de cette voie ‘par l’intérieur’, poursuit-il, c’est de perdre son rêve en route. La pression, le confort d’une carrière, la reconnaissance des pairs, sont des anesthésiants puissants, contre lesquels il faut lutter pour garder la capacité à douter, à se remettre en cause, à ne pas croire aux ‘c’est comme cela de toutes façons’. Il faut un mélange de patience et de persévérance. Changer l’entreprise, c’est une école du réalisme. Accepter et gérer la frustration, se dire qu’elle est aussi un moyen de grandir soi-même, de repérer nos propres contradictions. Comprendre qu’on ne change les choses qu’en acceptant de se changer soi-même, tous les matins, en se confrontant au chemin de conscience des autres. Et se dire qu’on n’est jamais arrivé. »

Emmanuel Faber est connu pour être un des moteurs de l’implication de Danone sur les sujets sociétaux depuis plusieurs années. Il a fortement contribué à la création de Grameen Danone, de danone.communities, un incubateur de social business qui finance et accompagne 10 projets d’entrepreneuriat social dans le monde contre la malnutrition et la pauvreté, ou encore du fonds Danone Ecosystème, qui vise à renforcer l’emploi et l’employabilité des agriculteurs, fournisseurs, distributeurs et prestataires de services autour de Danone. Equation Danone Grameen GDF DC

Cinq paradoxes des intrapreneurs

Pour comprendre les qualités nécessaires pour lancer et développer un projet au sein d’une grande structure, nous avons interrogé plusieurs pionniers. Nous avons identifié cinq paradoxes sur les attitudes et les comportements des intrapreneurs sociaux, qui en font – peut-être – des moutons à cinq pattes de l’entreprise:

  • Des entrepreneurs agiles dans des structures rigides

Emmanuel de LutzelÂgé de 56 ans et diplômé de Sciences-Po, Emmanuel de Lutzel a rejoint BNP Paribas en 1996. Après sept années dans des activités classiques de la banque, il crée en 2006 le département Microfinance dont la mission est de refinancer des institutions de microfinance, principalement dans les pays en voie de développement. Ce département a prêté plus de 200 millions d’euros à plus de 40 organisations dans une vingtaine de pays, avec un impact social estimé à 1,5 million de micro-entrepreneurs financés. En 2013, Emmanuel de Lutzel renouvelle l’expérience d’intrapreneuriat social en créant une activité « social business » pour développer le financement de l’entrepreneuriat social en Europe.

Selon lui, l’une des principales caractéristiques des grandes organisations est leur inertie: « Quand on vit en entreprise, chacun fait ce qu’on attend qu’il fasse selon sa description de mission. La plupart des managers vont faire ce que l’entreprise leur demande explicitement. S’ils font des choses en plus, c’est bien, mais ce n’est pas d’abord ce que l’on attend d’eux. » Pour faire bouger les lignes, il est donc nécessaire d’adopter une mentalité d’entrepreneur: « L’intrapreneur a un comportement complètement différent, c’est quelqu’un qui est disruptif, qui va imaginer des choses qui n’existent pas encore. »

François RouvierLes intrapreneurs sociaux doivent développer un esprit « start-up » au sein de leur groupe: ils ont besoin de commencer petit, de prototyper, « d’apprendre en marchant », ainsi que de « constituer une équipe commando pour être hyper mobile, autonome, et pouvoir avancer sans tout le temps lever le doigt pour demander si on a le droit », témoigne François Rouvier, 50 ans, intrapreneur social chez Renault. Diplômé de l’EM Lyon, il a travaillé douze ans chez Michelin, avant de rejoindre Renault en 1999. Pendant 10 ans, il a évolué sur des fonctions commerciales et marketing classiques. En 2011, il a rejoint le département RSE pour lancer le programme Renault Mobiliz, dont le but est d’améliorer l’accès à une mobilité durable pour les personnes en situation de précarité, via des « garages solidaires » qui proposent des produits et services à Renault Mobilizprix coûtant, et via le financement d’entreprises proposant des solutions de mobilité innovantes à fort impact social.

  • Des utopistes pragmatiques

Les intrapreneurs sociaux sont avant tout portés par une quête de sens, une utopie assumée qui leur donne envie d’agir au quotidien: « L’intrapreneur social a une vision éthique et altruiste, qui va bien au-delà de ‘comment je vais équilibrer mon budget’ », explique Emmanuel de Lutzel. Pourtant, ils opèrent au cœur des entreprises. Pour être écoutés, ils se doivent d’être pragmatiques et performants: « Il ne faut pas chercher à tout révolutionner. Ce n’est pas parce qu’on fait quelque chose de disruptif qu’il faut tout casser. Il faut chercher quelque chose que l’on peut adapter et intégrer dans les process », ajoute Emmanuel de Lutzel.

Assez vite, les intrapreneurs sociaux doivent formaliser leurs projets à travers un business plan, pour parler le même langage que l’entreprise, et convaincre leur hiérarchie. « Il faut se poser un certain nombre de questions business: Qui sont les clients? Qui sont les partenaires internes ou externes? Sur quels territoires exercer cette activité? Comment couvrir ses coûts, si possible avec un léger surplus? », développe-t-il. Les projets développés ne doivent pas faire perdre d’argent à l’entreprise. Chez Renault, l’exigence de rigueur a été la même que chez BNP Paribas: « On connaît Carlos Ghosn, c’est quelqu’un de très attaché à la rigueur, à la méthode. Donc il a fallu être très professionnel, en permanence, dans notre approche », témoigne François Rouvier.

  • Des explorateurs diplomates

Les intrapreneurs sociaux sont des explorateurs, ils cherchent à inventer des modèles qui ont vocation à réconcilier l’économique et le social. Mais pour avoir de l’impact, ils ne doivent pas explorer seuls; ils doivent mobiliser les parties prenantes autour d’un objectif commun, notamment en impliquant la direction générale pour donner une légitimité au projet. « Pour moi, une des grosses difficultés dans l’émergence d’un projet d’intrapreneuriat social aujourd’hui, c’est la barrière mentale qu’il faut réussir à lever pour que l’économique et le social puissent être réconciliés. Trop souvent, les deux mots se repoussent l’un l’autre. Le social, c’est ce que je fais le soir, le week-end et à la retraite. C’est du domaine privé, ce n’est pas dans la sphère business. Et si jamais j’arrive à imaginer, au prix d’un grand effort, le social au cœur du métier d’une entreprise, c’est le carnet de chèque: le mécénat, la fondation, bref, le côté business charité », explique Nicolas Cordier, intrapreneur social chez Leroy Merlin.

Nicolas CordierAgé de 44 ans et diplômé de l’ESSCA, il a commencé sa carrière en développant une institution pionnière de microfinance au Chili. Il rejoint ensuite en 2001 Leroy Merlin, sur des fonctions classiques, en marketing, magasin et centrale d’achat. Après 10 ans au sein du groupe, il favorise la création de projets de social business permettant la création de partenariats avec des acteurs de terrain, afin de trouver des solutions durables à des personnes en situation de précarité au niveau de leur logement.

Un intrapreneur social doit faire preuve d’énormément de pédagogie pour partager sa vision: « Quand on est innovateur, on voit des choses que les autres ne voient pas. On a fait une découverte d’un monde, d’une planète nouvelle. Et toute la question, c’est de partager cette découverte et de montrer aux autres qu’il y a une véritable réalité », explique Emmanuel de Lutzel. François Rouvier développe la même idée: « Quand on créé quelque chose qui n’existe pas, il faut être très motivé et ne pas se démoraliser… parce que ce n’est pas forcément facile quand on voit des gens en face qui quelque fois vous renvoient ‘à quoi ça sert, pourquoi on fait tout ça?’ Donc il faut en permanence expliquer, beaucoup parler. »

Une des grandes qualités des intrapreneurs sociaux est leur capacité à rassembler des acteurs qui le plus souvent s’ignorent ou se craignent – entreprises, associations, secteur public – pour essayer de faire à plusieurs ce que personne n’a réussi à accomplir seul. L’intrapreneur social doit être avant tout un « polyglotte social », parler les langues du business, du social et des partenariats.

  • Des passionnés patients

Pour vouloir changer une entreprise de l’intérieur, il faut être passionné et partager sa passion. Les intrapreneurs sociaux sont souvent passionnés par l’innovation sociale, certes, mais aussi par le « côté pionnier », le défi de se lancer dans « un truc auquel personne ne croit au début », explique Nicolas Cordier. Pourtant, « pour changer une grande organisation de l’intérieur, nous confiait Emmanuel Faber, cela nécessite d’être patient, d’emmagasiner des expériences pour comprendre tous les aspects du business, et de s’imprégner de la culture d’entreprise avant de conduire le changement. Il faut d’abord se spécialiser dans une fonction et y devenir excellent. C’est un ‘fondamental’ qui crée la confiance en soi et la crédibilité vis-à-vis des autres et des décideurs, lorsqu’on propose ensuite des directions différentes, d’autres options, des alternatives, des réglages différents. »

Il faut aussi être patient, car on ne change pas une grande organisation du jour au lendemain. Des années sont nécessaires avant de récolter les fruits d’une initiative. Il faut accepter de passer par des échecs, sans se décourager, éviter de vouloir brûler les étapes, ce que la passion a parfois tendance à nous faire faire, comme l’explique Emmanuel de Lutzel: « La tempérance est une vertu cardinale chez Aristote ou Platon. C’est un peu contradictoire par rapport à la passion qui va nous entraîner. La tempérance, c’est avoir une certaine sagesse pour ne pas brûler les étapes. Le fait qu’il faut investir du temps pour qu’il sorte quelque chose, et qu’il faut laisser du temps au temps pour que l’on puisse avoir des résultats. Et la capacité de garder le cap malgré les obstacles que l’on peut rencontrer. »

  • Des « classiques » alternatifs

Enfin, les intrapreneurs sociaux sont très classiques, par leur parcours et les codes du monde de l’entreprise qu’ils ont assimilés: « Tous les gens que je connais dans l’intrapreneuriat connaissaient d’abord très bien l’entreprise. Il faut avoir beaucoup de réseau, être capable de taper à la bonne porte pour faire évoluer ou avancer tel et tel sujet », explique François Rouvier. Mais ils ont également en eux une dimension alternative qui les incite à remettre en question des modèles préétablis et des façons de penser. Ils sont sans cesse en quête de sens dans leur travail, comme l’illustre Olivier Maurel, intrapreneur chez Danone: « D’un côté, j’ai une activité salariée où je fais mon blé, avec des méthodes que je qualifierais de ‘raisonnées’. De l’autre, je jardine des fleurs de manière créative: je développe des activités bénévoles à travers des mouvements citoyens (monnaies complémentaires, revenu d’existence, permaculture, Colibris, TEDx, etc.). Dans cette deuxième partie, je fais les choses d’avantage par goût, j’ose les associations imaginatives, j’accepte que tout ne marche pas: ce n’est pas grave, il n’y a pas de rentabilité à chercher… juste une quête de sens. »

Olivier MaurelDiplômé de l’ESCP Europe, spécialisation finance, Olivier Maurel, 34 ans, a commencé sa carrière en tant que consultant, notamment dans le domaine des nouveaux médias. En 2008, il rejoint danone.communities, en charge de l’innovation sociale et de l’animation de communauté pour développer le mouvement du social business. Depuis 2013, Olivier s’est lancé un nouveau défi en lançant Danone for Entrepreneurs, une structure qui, dans le cadre d’un plan de réorganisation, aide 90 employés de Danone à créer leur entreprise. Il est aujourd’hui directeur de l’Innovation ouverte du groupe Danone.

« Cela fait sept ans que je travaille chez Danone et que j’essaie d’avoir des activités créatives bénévoles qui me permettent de continuer à apprendre et de participer au monde que je veux voir arriver, mais cela ne se fait pas forcément de façon salariée. Pour reprendre un mot à la mode, je suis un slasheur [avoir des activités « slash/ » d’autres activités, NDLR]: c’est possible aussi que ce soit une tendance des intrapreneurs sociaux d’avoir des moments dans leurs semaines où ils peuvent être exposés à d’autres choses que le prisme de l’entreprise. »

Cette dualité se retrouve chez tous les intrapreneurs sociaux rencontrés: tous ont une très forte fibre sociale, qu’ils essaient d’associer à l’entreprise. Emmanuel Faber a par exemple été bénévole plusieurs années pour accompagner des personnes en fin de vie à l’hôpital de Puteaux; Emmanuel de Lutzel a été bénévole à l’ADIE, leader en France dans le microcrédit; Nicolas Cordier a travaillé dans une institution de microfinance au Chili; François Rouvier est très engagé dans des mouvements associatifs; Olivier Maurel multiplie les activités créatives bénévoles et en témoigne dans le livre collectif Nos grandes écoles buissonnières.

Créer un mouvement à grande échelle

L’intrapreneur social est donc par nature hybride, à la croisée de plusieurs espèces, comme l’illustrent Pamela Hartigan et John Elkington: « Comme la girafe, l’intrapreneur social a les pieds sur terre et la tête dans les nuages. Sa hauteur de vue lui permet de voir venir les opportunités et de les saisir au vol, tout en gardant John Elkington & Pamela Hartiganune approche pragmatique solidement ancrée dans la connaissance de l’entreprise. Sa personnalité de castor lui permet, à partir de son environnement, de construire de nouveaux modèles et d’aménager de nouveaux circuits de création de valeur sociale pour l’écosystème qui l’entoure. »

Ces quelques exemples montrent que c’est possible. Mais ces cas restent marginaux dans l’ensemble des entreprises. Pour changer la manière dont elles innovent et les salariés travaillent, il est nécessaire de créer un mouvement d’intrapreneuriat social à grande Ticket for Change logoéchelle. Convaincus que l’intrapreneuriat social est un immense levier de changement, nous développons désormais avec Ticket for Change des programmes dédiés pour favoriser l’intrapreneuriat social. Tout d’abord, en lançant le Mooc Devenir entrepreneur du changement avec HEC Paris, cours en ligne gratuit de sept semaines à partir du 24 février 2015, ensuite en permettant à des salariés d’entreprises de participer au Tour 2015 (25 août au 5 septembre) dans le but de créer des déclics d’intrapreneurs sociaux.

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Le management libérant de Claude Onesta

Le 1er février à Doha, l’équipe de France de handball remporte un cinquième titre mondial après les titres de 1995, 2001, 2009 et 2011 ! Championne d’Europe, double championne olympique en titre, la France détient aujourd’hui simultanément les trois titres majeurs de France quintuple championne du monde de Handballla discipline, comme en 2010. La performance est unique dans l’histoire des sports collectifs. L’ailier gauche Michaël Guigou donne une première explication à cette soif de titres : « Le secret, c’est je pense l’humilité, le fait de se remettre en question à chaque fois. On essaie de se remettre en question, d’être toujours motivé, de vouloir gagner encore des titres. »

Vingt ans après le sacre mondial des « Barjots » en Islande, après les « Costaux » dans les années 2000, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « Experts » continuent d’impressionner par leur longévité au plus haut niveau : dix finales internationales victorieuses de suite, série en cours ! Évidemment, cette équipe a du talent. Mais bien d’autres nations peuvent dire la même chose. Si elle dispose de joueurs exceptionnels, ce qui fait la force d’une telle équipe, c’est l’orchestration des talents cumulés au profit de la performance collective.

La performance durable s’inscrit dans le temps !

Le rôle des sélectionneurs est essentiel pour la création d’un collectif performant. L’équipe de France n’en a connu que deux depuis 1985 : Daniel Constantini jusqu’en 2001 et Claude Onesta depuis 14 ans. La durée semble ainsi importante pour un management et des performances durables. Ne l’oublions pas dans nos organisations où le zapping d’une mission à l’autre de managers voulant laisser une trace rapide n’est pas toujours synonyme de performance de l’ensemble des équipes dans la durée.

A la question de savoir comment « garder la flamme » après un tel palmarès, Claude Onesta répondait quelques jours avant les derniers Championnats : « C’est une question judicieuse, que je me pose au plus profond de moi. Dans un premier temps, je me suis surtout intéressé au comment, à la manière de gagner des matchs. Et puis depuis quelques années, j’ai commencé à questionner le pourquoi, le sens des choses. Les gens me placent sur un piédestal, alors que moi je me perçois d’abord comme un clown, un amuseur public, un créateur d’émotions. »

On retrouve là des éléments de l’entreprise ‘pourquoi’ plus que l’entreprise ‘comment’ chers à Jean-François Zobrist. Le management à contre-courant de ce dirigeant d’une Jean-François Zobristentreprise picarde de métallurgie a libéré les énergies et l’innovation pour faire de FAVI un leader mondial dans le secteur hautement concurrentiel des sous-traitants de l’industrie automobile. Il définit le management d’une manière qui conviendrait bien à Claude Onesta : « Le management, ce n’est pas faire, c’est une sorte de laisser-faire, pour faire en sorte que les choses se fassent d’elles-mêmes«

Le management libérant de coach OnestaClaude Onesta

De nombreux articles de presse s’en font l’écho : la réussite de son groupe repose en partie sur un style de management qui libère les énergies : responsabilisation des joueurs, équilibre subtil des égos, acceptation de l’imperfection,…

Le management de Claude Onesta met ainsi les joueurs au cœur de sa démarche basée sur la liberté, l’autonomie et la responsabilité de chacun : « Le projet appartient aux joueurs. Ce sont eux qui en font une réussite ou un échec. L’entraîneur n’est qu’un guide mais je reste convaincu qu’en responsabilisant les acteurs principaux, on se donne les moyens de gagner. »

Contrairement à la logique classique du management hiérarchique command & control en vigueur dans la majorité des organisations, il veille à ce que les collaborateurs – dans son cas des joueurs – puissent décider eux-mêmes de leurs propres choix qui vont les mener vers la performance – c’est-à-dire pour des sportifs, vers la victoire.

« On a mis en œuvre un mode de fonctionnement dans lequel le joueur n’est plus dans l’attente de consignes. Avant, on tirait l’écran, on passait la vidéo, et on disait : « Dans telle situation, toi, tu dois jouer comme ça ». Et puis un jour, entre 2007 et 2008, avant de se lancer dans la préparation des Jeux Olympiques de Pékin, j’en ai eu ma claque de faire le maître d’école. Je leur ai dit : « Voyez cette situation, d’habitude, je vous disais comment vous deviez la jouer ; eh bien là, vous allez me dire comment vous souhaitez la jouer ». L’idée pour moi était de passer du jeu de l’entraîneur au jeu de l’équipe. De ne plus avoir des joueurs assis, qui se défaussent en cas d’échec sur le staff, mais des joueurs debout, prenant leur responsabilité dans l’aventure collective. »

Les Experts, une tribu d'hommes libresLoin du maître d’école, il a fait de la liberté-responsabilisante une méthode singulière pour faire de son équipe une tribu solidaire dont le message et la réussite s’inscrivent dans la durée. « Les Experts, une tribu d’hommes libres », c’est d’ailleurs le titre du livre publié en 2012 par ce manager unique dans le sport moderne.

Le manager comme garant de l’écosystème du collectif

Isaac GetzA propos du manque d’engagement des salariés, Isaac Getz souligne combien les leaders d’entreprise sont appelés  à être les jardiniers de l’écosystème qui favorisera la croissance et l’épanouissement de chaque membre de l’organisation : « Chaque fois que l’on dit à un subordonné comment faire son travail on le déresponsabilise encore un peu plus. Cessons donc de le dire aux salariés et commençons à écouter ce qu’ils ont à proposer. Les leaders libérateurs construisent un environnement qui épouse et nourrit la nature humaine — plutôt que lutter contre elle. » C’est bien le processus vécu par le sélectionneur de l’équipe de France de handball depuis sept ans : tel un leader-jardinier, il leur donne les ingrédients nécessaires pour grandir, s’améliorer et réussir : « En construisant ensemble, on est peut-être confronté à quelques écueils supplémentaires, lors de la mise en route, mais l’engagement obtenu, le supplément d’âme généré, font que cela s’avère être un pari gagnant. »

C’est un élément essentiel du management libéré : transmettre les valeurs et la vision du projet collectif et résister à la tentation de donner les solutions, les recettes du comment. De fait, c’est l’ancien défenseur international Didier Dinart, aujourd’hui entraineur adjoint, qui a le rôle sportif pour conduire chaque joueur à trouver les pistes d’amélioration en analysant ce qui s’est passé lors des matchs précédents en visionnant les images du jeu.

Un sélectionneur qui estime ses joueurs plus pertinents que lui sur de nombreux pans du jeu et les laisse donc choisir les modifications à leur actions sur le terrain, n’est-ce pas là le type de leadership dont nous avons besoin au XXIème siècle ?

Responsabiliser ? Ce n’est pas très sérieux tout ça !

S’il a su comprendre les aspirations profondes des hommes qu’il manage en les considérant comme des adultes responsables, cette manière de faire ne va pas de soi et ses détracteurs furent nombreux !

Dans une interview récente dans L‘Obs, il indiquait « Tous les gens que je croisais me disait « oui, oui, responsabiliser les joueurs, c’est vachement bien, ton truc », mais je suis persuadé que, dès que je tournais le dos, ils se marraient. Pour beaucoup, le sport de haut niveau, ça gueule, ça obéit, ça fait peur. Le coach doit être une sorte de gourou, qui sait tout, qui manipule. C’est totalement réducteur. Mais c’est une croyance bien ancrée. Et une croyance d’autant plus dommageable que le sportif, à mon sens, s’épanouit quand il cesse d’être bêtement obéissant, quand il se prend en main dans l’intérêt du collectif. »

Le parallèle avec le management en entreprise est évident ! Personne ne contredira jamais le fait que responsabiliser est une bonne chose, mais le courage du lâcher-prise pour faire confiance dans la capacité créative d’une responsabilité assumée est souvent manquant !

C’est ce que nous évoquions dans l’article Le courage du lâcher-prise ou la liberté des salariés comme remède à la crise. Frédéric Lippi y soulignait une problématique sous-jacente au processus de libération et d’autonomisation de chaque collaborateur pour le manager qu’il est : «Donner de l’autonomie ? Un vrai acte d’autorité ! Mon premier problème, c’est la tentation de résoudre…» Et Claude Onesta illustre également cette perte de contrôle en disant : « Pour être honnête, il y a des moments où je ne sais même plus ce que les joueurs font. Je me dis « merde, mais qu’est-ce que c’est que ça ? » Les joueurs ont fini par s’approprier le jeu, et c’est très bien. »

« Gagner ne vaut que si on progresse ensemble ! »

Le règne des affranchis, Claude OnestaDans son livre « Le règne des affranchis » publié en septembre 2014, il nous entraine dans les coulisses de ses victoires en partageant les enseignements qu’il a tirés de son expérience de meneur d’hommes. Lancer un ballon de plus dans les filets de l’adversaire n’est pas son seul « but ». Il dit ainsi que pour lui, « gagner ne vaut que si on progresse ensemble, sinon c’est une soupe d’épluchures qu’on peut donner au chien. Moi, ce qui me passionne, c’est ce que le sport peut représenter comme vecteur de mieux-vivre et de mieux-faire ensemble. Ce ne sont pas les titres qui importent, mais la construction de ces titres, le modèle novateur qu’on a mis en place : comment on a pu grandir ensemble, s’accommoder de nos différences, faire fructifier les éléments positifs en chacun… C’est ça mon vrai bonheur dans cette aventure collective. »

Sa motivation de fond, la ‘mission haute’ de son travail de sélectionneur va ainsi plus loin que l’accumulation de trophées et de reconnaissances. Peut-être un peu à contrecourant, cette vision replace bien l’importance des intentions, des finalités, de la vocation d’un projet collectif. On retrouve ici les propos de Marc Halévy dans son livre Tao et Management, où il décrit l’importance de ce fil rouge qui dynamise, ordonne et donne sens à toute organisation : sa vocation, sa mission, son âme :

« Lorsque l’on méditera sur l’entreprise, la famille ou tout autre sujet, il faudra se demander quel est le feu qui est censé les animer, les vivifier, et les faire s’épanouir et s’accomplir. Sans ce feu, les structures et les organisations restent lettres mortes. On en revient alors aux idées de projet, de finalité, de vocation, voire à un mot comme « âme » (anima et animus en latin) en tant que ce qui anime […].

Toute entreprise est un arbre qui pousse, saison après saison, élagages après tailles, fumages après cueillettes, floraisons après greffes. Et cet arbre croît continûment que l’on prenne, ou non, des photos (budgets, objectifs annuels, chiffres réalisés vs. planifiés, etc.) de lui de temps en temps. Ce qui importe, c’est la raison profonde qui le fait pousser. Où est son intention ? Où est sa finalité ? Qu’est-ce qui le pousse à croître, à verdir, à fructifier ? »

De quels leaders avons-nous besoinLa victoire reposerait donc sur une bonne gestion des leaders ? Non, les créateurs de lien sont essentiels !

Un coach un peu plus en retrait est un fin observateur des dynamiques qui se vivent dans le groupe : « Ne pas avoir la tête dans le guidon en permanence me permet de recueillir un maximum d’informations, de faire attention aux petits détails… pour pouvoir m’atteler à l’essentiel de ma tâche : construire sur la durée. »

Se décharger du quotidien pour se concentrer sur l’avenir de l’équipe permet d’observer en détail l’attitude de chacun des joueurs et le rôle de chacun dans la dynamique du groupe. Dépassant une vision trop réductrice de quelques leaders qui porteraient l’identité d’un groupe constitué de suiveurs, Claude Onesta évoque « une troisième population tout aussi importante. Ce sont ceux que j’appelle les créateurs de liens ou les « gentils ». Ce sont des gens capables d’aller d’un leader à l’autre selon les circonstances, sans chercher à rivaliser, mais en montrant bien qu’ils ne sont pas aliénés à qui que ce soit.

Ces gens-là sont fondamentaux dans la construction du projet car ce sont eux qui vont générer du vivre ensemble en se baladant d’un sous-groupe à l’autre, en montrant qu’il est possible à chacun de se rapprocher, de partager des choses. C’est le mec qui va préparer le café pour créer un moment de partage, le mec qui va susciter une rigolade. Cette population, hélas, est rarement mise en avant, alors qu’à mes yeux, elle est au cœur de la vie sociale du groupe. C’est le gentil qui en permanence va tempérer les affrontements. Par moment il va même prendre sur lui et faire rire de lui-même pour faire retomber les tensions… »

Savons-nous détecter les « gentils », les créateurs de lien, ceux qui sont le ciment de nos organisations, qui unissent les différents sous-groupes ? Savons-nous reconnaître et valoriser le travail invisible sur la dimension collective qu’ils effectuent ? C’est rarement le cas dans nos cultures internes du leadership et de la valorisation des talents, mais n’est-ce pas une voie d’avenir pour transformer nos organisations où chacun est appelé à être acteur co-responsable de notre avenir ensemble ? Osons rêver et baser notre performance sur la liberté et la responsabilité de chaque collaborateur, le bonheur au travail en sera la première conséquence !

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Comment devenir une « entreprise libérée » ? 4 illustrations

Libérer les énergies des collaborateurs pour plus d’innovation et de performance et à la clé des collaborateurs engagés et heureux : c’est un des fils rouges de ce blog ! En particulier, les entreprises SOL (ou la révolution du travail joyeux dans le nettoyage en Finlande, avec Liisa Joronen), Poult (biscutier innovant à Montauban, avec Carlos Verkaeren et Medhi Berrada), FAVI (la fonderie picarde qui croit que l’Homme est bon, avec Jean-François Zobrist) et ChronoFlex (ou le pari gagnant de l’autonomie des flexibles hydrauliques pour sortir le groupe Inov-On de la crise, avec Alexandre Gérard) y ont été évoquées à plusieurs reprises. Ce sont les quatre illustrations de cette excellente synthèse proposée par Aurélie Duthoit que je reblogue ici.

La transformation managériale est inéluctable en raison de trois changements majeurs dans l’environnement actuels : numérisation de l’économie, raréfaction des ressources, nouvelles attentes et rapport de force entre l’individu et l’organisation dans laquelle il travaille.

A regarder également, le reportage AFP / L’Express Vidéo publié ce jour sur l’expérience du management participatif de l’usine Poult de Montauban > cliquez ici

Le blog de l'entreprise collaborative

entreprise libéréeOn entend parler de l’entreprise libérée. Tout cela est très bien, mais concrètement, ça veut dire quoi ? Vous trouverez dans cet article 4 case studies qui vous décrivent les changements organisationnels effectués et aussi leurs conséquences positives sur la performance de l’entreprise.
Je n’aurais jamais cru trouver cette précieuse source d’information sur ce site là…mais comme quoi, le bon contenu, la bonne idée ne vient pas que des experts…

Voir l’article original 1 743 mots de plus

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Les pratiques managériales les plus innovantes du monde

L’article de Francis Boyer, consultant, coach et conférencier sur l’innovation managériale, dans le Journal du Net Management intitulé « Les pratiques Francis Boyer JDNmanagériales les plus innovantes du monde » publié le 7/10/14 est une excellente synthèse des enjeux de réinvention du management pour accompagner la recherche de nouveaux modèles d’affaires qui est (ou sera) le quotidien de toutes les organisations. Ses propos reprennent plusieurs des thématiques autour du management des entreprises libérées de ce blog. En particulier, l’idée que le management évolue moins vite que le monde qu’il est censé « animer » invite à repenser l’animation des hommes pour plus d’engagement et de performance. Cela requiert d’un certain courage pour le « lâcher-prise » intrinsèque à l’abandon du pouvoir des sachants dans la logique encore trop présente du « command & control » [voir l’article Le courage du « lâcher prise » ou la liberté des salariés comme remède à la crise]

Je reprends ici l’intégralité de cet article très complet avec des illustrations d’entreprises en France et à l’étranger en y ajoutant parfois entre crochets des références à d’autres articles.


Audace, inventivité, souplesse, authenticité… Tout le monde s’accorde à dire que nos entreprises doivent se réinventer pour se différencier. Quand on parle d’innovation, on pense stratégie, offre, organisation et très rarement management, à savoir la manière dont on anime et les Hommes. Pourquoi ?

Vous, qui découvrez cet article, aimeriez-vous travailler au sein d’une entreprise où :

  • les missions que l’on vous confie sont passionnantes ?
  • les relations sont authentiques et basées sur la confiance ?
  • vous disposez d’un niveau d’autonomie et de liberté suffisant ?
  • les équipes sont solidaires et les collaborations entre services constructives ?

Est-ce le cas ?
Bien que 85 % des dirigeants estiment que l’innovation est primordiale pour rester compétitif, les entreprises n’y accordent qu’environ 10 % de leur temps (Sondage IFOP 2013). Si 54 % des collaborateurs suggèrent de nouvelles idées à leurs managers, seulement 11 % d’entre elles sont prises en considération (Enquête Accenture/Right.com 2013).

Le management : parent pauvre de l’innovation

Selon un sondage Ipsos de 2013, l’innovation est confiée à 72 % aux fonctions Recherche & Développement, Qualité et Marketing, ce qui représente entre 5 à 8 % de l’effectif. Les autres fonctions ne seraient-elles pas concernées par la recherche de nouvelles idées ? Quand on parle d’innovation, on pense en premier lieu aux innovations technologiques ou à la création de nouvelles offres. D’ailleurs, les classements des entreprises innovantes sont basés sur le nombre de brevets déposés et en cela, il est vrai, la France est le 3ème pays le plus innovant au Monde, derrière les américains et les japonais (selon le « Top 100 Nouvelles pratiques collaborativesGlobal Innovators » de Thomson Reuters d’octobre 2013). Mais très rares sont les décideurs qui parlent d’innovation managériale. Et lorsqu’il est état d’innovation managériale, les évolutions portent avant tout sur l’organisation et les systèmes d’information. Les « principes collaboratifs » arrivent en dernière position alors que c’est très certainement dans cette direction que se situe la véritable (r)évolution du management.

En effet, il ne suffit pas de « greffer » une nouvelle théorie de management pour qu’elle prenne,
 il faut que tout le corps l’accepte. Si Toyota est l’exemple par excellence du Lean management, on ne peut pas en dire autant d’autres entreprises pour lesquelles cette expérience s’est soldée par un véritable fiasco. Quelle en serait la raison ? Tout simplement parce que, chez Toyota, le Lean management n’est pas une méthode mais une philosophie, une manière de fonctionner et de se comporter fortement ancrée chez tous les salariés, quelles que soient leurs responsabilités.

Histoire du management : quand « toujours plus de la même chose produit les mêmes effets »

Si les outils évoluent, les paradigmes managériaux demeurent inchangés depuis un siècle. Certes, les niveaux hiérarchiques se sont réduits mais les processus décisionnels restent Charly Chaplin, voilà ce que tu dois faireidentiques (c’est toujours le « chef » qui décide). Si l’on demande aux collaborateurs d’être plus autonomes et force de proposition, les outils de management sont toujours « descendants ». Les salariés sont sans nul doute mieux formés et plus compétents mais on attend toujours d’eux qu’ils restent dans le « cadre » de leur description de poste. La stratégie reste encore le privilège de la gouvernance etc. Au fond, quel que soit le nom qui lui a été attribué au fil des années (patron, chef, cadre, leader…) le manager a toujours pour rôle principal de prescrire et de contrôler le travail de son équipe (quand il en a le temps).

Si les grands penseurs du management étaient encore parmi nous (F-W Taylor, H. Fayol, P. Drucker, E. Deming…), ils s’étonneraient sans doute de constater que leurs modèles sont encore d’actualité alors que le monde a considérablement changé depuis 10 ans.

Certains se demanderaient même pour quelles raisons nos entreprises n’ont retenu que les aspects organisationnels de leurs préconisations sans avoir pris en considération les dimensions relationnelles. Saviez-vous que si H. Fayol préconisait « l’unité de direction » et « la division du travail », il soulignait également l’importance de « l’initiative des salariés » et « l’union du personnel » ? Pour quelles raisons ces dimensions n’ont pas été intégrées par la quasi majorité des entreprises françaises ? Comparé aux changements considérables des autres domaines de vie (technologie, géopolitique…), le management semble avancer au rythme d’un escargot.

Innovation managériale : de la logique à l’intuition

Pendant près d’un siècle tous les modèles de management ont été élaborés sur la base de la pensée logique : comment augmenter la productivité, conquérir des parts de marché, améliorer la qualité et plus récemment lutter contre la concurrence par la diminution des coûts ? Autant de questions qui ont amené des réponses rationnelles, basées le plus souvent sur des fondements statistiques et mathématiques qui constituent le cœur des enseignements en management dispensés au sein de nos grandes écoles (si on veut augmenter la production, il faut embaucher et si on veut diminuer les charges, licencier, CQFD).

Rien d’étonnant alors à ce que la plupart de nos dirigeants raisonnent encore comme tel puisqu’ils reproduisent ce qu’il leur a été enseigné par des professeurs, consultants, eux-mêmes fortement imprégnés de ce mode de pensée (il suffit pour vous en convaincre de regarder le contenu des formations de nos élites).

Et si les entreprises ont intégré la dimension motivationnelle dans les années 80, ce fut avant tout pour augmenter la productivité (en référence à l’expérience de la Western Electric des années 1930), rarement pour contribuer au bien-être de leurs collaborateurs. De même, la prévention des risques psychosociaux n’est pas à l’initiative des entreprises mais du gouvernement suite à la médiatisation des suicides chez France Télécom (même si quelques rares entreprises s’étaient engagées dans cette démarche avant 2009). Mais au fond, l’entreprise a-t-elle pour vocation de rendre les gens heureux ou de gagner un maximum d’argent ?

Si le management est le parent pauvre de l’innovation, c’est très certainement dû au fait que cette dimension est la plus difficile à faire évoluer (un changement de technologie prend entre 6 et 18 mois, un changement culturel entre 1 et 5 ans). Mais difficile ne signifie pas pour autant impossible car cette difficulté ne réside pas dans la capacité à s’ouvrir à de nouvelles idées mais à se libérer des idées anciennes.

Innover en matière de management ne repose plus sur l’adoption de concepts sortis tout droit d’Harvard ou pensés par des grands gourous américains. Bien au contraire, les pratiques managériales qualifiées d’innovantes proviennent des entreprises elles-mêmes et sont davantage le fruit de convictions de leaders, de paris un peu fous en réponse à une situation de crise, de bon sens, d’échanges entre personnes, d’expérimentations audacieuses pour la grande majorité antagonistes à tout ce que vous avez pu connaître jusqu’à présent pour la simple et bonne raison que nos anciens modèles sont devenus inopérants, voire contre productifs.

Les innovations managériales que vous allez découvrir peuvent être classées dans la catégorie dite de « l’innovation de rupture ». Elles sont soit antagonistes, à savoir contraires aux pratiques courantes (augmentations de salaires décidées entre collègues, stratégie d’entreprise pensée par les collaborateurs), soit « intégratives », c’est-à-dire en réponse aux valeurs, modes de pensée et comportements émergents de notre société (auto déclaration de son humeur, valorisation de l’erreur…).

L’innovation managériale : plus facile à dire qu’à faire !

La première étape de l’innovation managériale est sans conteste l’acceptation que cet exercice est très difficile, et ce, pour 4 principales raisons :

  1. L’ancrage des certitudes : qu’il est difficile de remettre en cause ce que l’on considère comme une vérité absolue ! Souvenez-vous cependant que nos ancêtres étaient certains que la terre était plate et que le soleil tournait autour de notre planète et que tous ceux qui contestaient ces points de vue risquaient de le payer de leur vie. La seule certitude que vous pouvez avoir est que manager en 2014 n’a rien à voir avec la manière dont les équipes étaient dirigées en 1924 et que le management du XXIIème siècle sera bien différent de ce que nous connaissons (si tant est qu’il existe encore une mission de management).
  2. La peur : de perdre le contrôle, du pouvoir, de faire des erreurs. Penser autrement c’est forcément prendre un risque, tout simplement car il n’est pas possible de se référer à quelque chose d’existant. Et dans notre pays, le risque est synonyme de danger. Dans d’autres, la prise de risque est perçue comme du courage et une opportunité.
  3. La pression sociale : beaucoup de personnes renoncent à une idée au motif qu’elle est dite irréaliste ou qu’elle sera rejetée par les autres. Or l’innovation managériale est avant tout une affaire de conviction et ne doit pas dépendre du regard des autres dont la tendance est, dans notre pays, plutôt au pessimisme (nous sommes les champions du Monde en la matière selon un récent sondage mené par Gallup), à la critique et au conformisme (jusqu’à ce que l’on ait la preuve que ça marche !).
  4. Les limites du raisonnement : Dur de penser autrement. Comment faire? Il existe une croyance populaire : la créativité est un don et dépend de la personnalité. Heureusement, cette pensée est totalement fausse. La créativité est une capacité, donc elle s’apprend !

S’engager dans des démarches d’innovation managériale suppose avant tout d’apprendre à désapprendre.

Tour du Monde des pratiques managériales innovantes

Selon Benjamin Chaminade, la créativité passe par 4 étapes. La première est l’Inspiration. C’est pourquoi, plutôt que de vous assener de convictions et de théories, nous avons préféré vous présenter quelques exemples d’innovations managériales adoptées par des entreprises de tailles, secteurs et nationalités différentes. Toutes ont néanmoins un point commun : elles sont parvenues à concilier épanouissement et performance !

Voici quelques pratiques innovantes classées en 6 leviers en fonction de l’ordre d’importance accordé par les entreprises françaises :

  1. la confiance
  2. l’engagement et responsabilisation
  3. le plaisir et le bien-être
  4. l’agilité et la liberté
  5. la collaboration
  6. la créativité

1. La confiance

L'homme supérieur.. « On ne nous dit pas tout », « Il n’a pas respecté sa promesse », « Il paraît qu’il va y avoir une fusion », « Notre concurrent a licencié 20 % de ses salariés, à quand notre tour ? »… Promesse non tenue, avenir incertain, changements abscons, informations opaques, peur d’être mal jugé… autant de raisons qui ont, ces dernières années, créé un élan de méfiance au sein des entreprises. Or point de seine et profitable collaboration sans confiance. (Ré)instaurer la confiance au sein des entreprises suppose de respecter quelques critères tels que le respect des engagements, la crédibilité du management, la fiabilité et la transparence des informations, la congruence entre les actes et les propos ou encore l’encouragement et l’acception d’expression d’insatisfactions ou de doutes. [Lire aussi L’entreprise qui croit que l’Homme est bon]

Au fond, cela revient tout simplement, d’une part, à se faire confiance puis à faire confiance aux autres. Sur le papier, tout le monde le souhaite. Mais comment y parvenir ?

 3 exemples d’innovations managériales qui renforcent la confiance :

  • En France, Chez Mars Chocolat, Thierry Gaillard, PDG, organise toutes les 6 semaines une réunion de 30 minutes, intitulée « Ça se discute », où il répond à toutes les questions des collaborateurs. Cette pratique est d’autant plus intéressante lorsque l’on sait que les salariés ont beaucoup moins confiance en leurs dirigeants qu’en leurs managers directs.
  • En Inde, chez HCL Technologies, les salariés peuvent exprimer leurs doutes et leurs interrogations via un forum interne intitulé « U&I » (vous et moi) aux membres de la direction qui s’engagent à répondre, le PDG y compris, quitte à répondre qu’ils ne savent pas. Instaurer la confiance suppose de passer par une étape incontournable et pas toujours agréable pour le management : autoriser l’expression des doutes, craintes ou critiques. Mieux vaut canaliser leurs expressions que de les laisser se répandre dans les couloirs, autour de la machine à café ou chez les clients.
  • En Californie, l’éditeur de logiciel Intuit organise ce qu’il appelle la « fête de la défaite » au sein de laquelle sont évoqués les échecs de manière à « tourner collectivement la page » et apprendre de ses erreurs. L’erreur est humaine, alors pourquoi la nier ? Mieux vaut accepter les échecs et en tirer parti que de les renier et les laisser assombrir l’ambiance et altérer la confiance.

2. Engagement et responsabilisation

Le meilleur manager...« Ce n’est pas à moi de le faire« , « Je ne suis pas payé pour ça», « J’avais dis que ça ne marcherai pas», « C’est de la faute de la comptabilité»… Autant de propos qui déstabilisent les managers qui ne comprennent pas pourquoi leurs collaborateurs ne s’investissent pas autant dans leur travail qu’eux.

La conscience professionnelle appartiendrait-elle au passé ?

Selon une enquête internationale Gallup, environ 11 % des salariés se déclarent « engagés » (motivés, volontaires), 61 % sont « non engagés » (il font juste ce qu’on leur demande) et 28 % seraient « activement désengagés (ils ont une vision négative de leur entreprise et peuvent aller jusqu’à aller à l’encontre de son intérêt s’il le faut). Ces chiffres n’ont pas beaucoup évolués en 10 ans. Sondage Gallup sur l'engagement des salariésLe sens des responsabilités nait avec l’engagement. Autrement dit, je me sens responsable de ce que j’ai décidé, pas forcément de ce que l’on a décidé pour moi. Or, pour être honnête, il est rare que les collaborateurs décident de leurs missions ou de leurs objectifs. La marge de manœuvre des collaborateurs réside davantage dans le « comment » que dans le « quoi » (définition de l’objectif par le collaborateur).

Tant que les collaborateurs ne seront pas pleinement impliqués dans la définition de ce qui leur est demandé, nous maintiendrons un système managérial infantilisant ou le manager, en bon père, récompensera les succès et punira (soit par une absence de récompense, soit par une sanction) les échecs, non conformités ou insuffisance professionnelles. [voir aussi La présomption de confiance comme base du management]

Et c’est justement la crainte d’être « puni » qui freine la responsabilisation. Cette épée de Damoclès est bien souvent à l’origine des tensions entre managers et collaborateurs. Les concepts « 0 défauts », « qualité totale » ou autres injonctions à l’excellence positionnent les salariés en position défensive (c’est pas ma faute !) alors que la valorisation de l’erreur (à condition qu’elle ne soit ni volontaire, ni répétitive) permet d’insuffler une culture de l’amélioration continue (à condition d’avoir réinstauré préalablement un « climat de confiance »).

3 exemples qui permettent de renforcer l’engagement et la responsabilisation

  • En France, chez Leroy Merlin,la stratégie est élaborée par les salariés par le biais de nombreuses rencontres intégrées dans une démarche intitulée « Vision ». Au démarrage de ce projet, tous les collaborateurs ont contribué à la concrétisation de cette stratégie dans cette entreprise où « il fait bon travailler ». Chaque collaborateur se sent concerné par la réalisation de ce projet. Sans doute le fait que tous les collaborateurs de Leroy Merlin soient actionnaires de leur entreprise contribue-t-il aussi à ce que chacun se sente responsable des résultats dont les bénéfices sont par ailleurs répartis de manière équitables entre tous les salariés ?
  • Aux Etats-Unis, chez Morning Star,entreprise de transformation de tomates de près de 700 salariés, les collaborateurs négocient leurs objectifs entre eux, en fonction de leurs idées respectives et de ce qu’ils pensent bon pour leur entreprise. Pas de chef pour leur dire ce qu’ils doivent faire. Ces négociations aboutissent à des « contrats d’engagement » accessibles à tous les collaborateurs. Cette pratique se différencie de la fixation d’objectifs car les auteurs de ces engagements sont les acteurs qui les mettront en œuvre.
  • En France, la compagnie aérienne Air France a instauré il y a quelques années une « charte de non punition de l’erreur ». Après avoir pris conscience et accepté que l »une des principales causes d’accidents et d’incidents était d’origine humaine, et compte tenu des conséquences, cette compagnie aérienne a décidé d’encourager ses collaborateurs à exprimer (sous anonymat) leurs erreurs et signaler des dysfonctionnements en contrepartie de quoi elle s’est engagée à ne pas pratiquer de sanction lorsque les erreurs étaient révélées et assumées. La seule sanction envisagée concerne les salariés qui n’auraient pas fait part de leurs erreurs.

3. Le plaisir et le bien-être

Choissisez un travail... « Il est vrai que mon job n’est pas très passionnant mais il me permet de nourrir ma famille», « J’ai fais le tour de mon poste, que me proposez-vous ?», « Mon manager n’est pas motivant»… Si environ 80 % des Français sont satisfaits de leurs conditions de travail (locaux, horaires, niveau d’autonomie…), seulement 20 % considèrent leur travail comme une source de plaisir. Peut-être est-ce dû au fait que 46 % des Français ne travaillent pas dans la fonction désirée ? (Sondage TNS-Sofres d’octobre 2010, enquête Ipsos-Endered de février 2012 et sondage Stepstone de décembre 2010)

Quel intérêt à une entreprise à ce que ses salariés soient heureux au travail ?

 Avant la médiatisation des suicides en 2009, le bien-être au travail n’était pas vraiment un sujet de préoccupation des dirigeants. Et si les entreprises ont eu à cœur de motiver leur personnel, c’est sans doute pour augmenter la performance, pas vraiment pour leur bien-être. Ces propos peuvent sembler choquants. Et pourtant, dans notre société, il semble bien que le social soit encore au service de l’économique, et non l’inverse.

Mais contrairement à ce que l’on pense, l’amélioration des conditions de travail agissent sur la satisfaction, ils n’augmentent pas le plaisir au travail. Mais qui est responsable du plaisir ressenti par chaque salarié ? L’entreprise ? Le salarié ? Les deux ? A priori, tout dépend dans un premier temps de ce que recherche le salarié. D’après nos études, le plaisir au travail repose principalement sur 2 facteurs : le contenu des activités et les responsabilités confiées & la convivialité et la bonne ambiance entre collègues.

Si l’entreprise peut agir sur ce second facteur, le premier dépend du ressenti qu’éprouve le salarié à réaliser ses missions. Il s’agit donc d’un facteur endogène qui relève du seul choix professionnel du collaborateur (alors que trop de salariés estiment qu’il appartient à l’entreprise de les rendre heureux). C’est pourquoi, le bien-être et le plaisir au travail ne peuvent être à la seule initiative de l’employeur.  Il s’agit d’une co-responsabilité. [lire également les propos de Laurence Vanhée, Chief Happines Officer sur le sujet]

 3 exemples de pratiques qui renforcent le bien-être et le plaisir au travail

  • Au Brésil, les ouvriers des usines de Fiat déclarent chaque matin leur humeur, au moment de leur prise de poste : vert, si tout va bien; orange, s’il est moyennement motivé et rouge s’il rencontre un problème. Les salariés qui se déclarent en rouge sont alors reçus par un manager et un spécialiste de la fonction R.H. (environ 80% des ouvriers se déclarent en rouge une fois par an). Cette pratique est particulièrement intéressante dans la mesure où l’entreprise autorise et confie la responsabilité de la déclaration d’un mal-être au salarié (et non au management).
  • Aux Etats-Unis, au sein de l’entreprise WL Gore (près de 8 000 salariés), les nouveaux embauchés disposent de quelques semaines pour faire le tour des projets et choisir les équipes avec lesquelles ils aimeraient travailler en fonction du plaisir qu’ils ressentent à contribuer au projet. Les équipes plébiscitées peuvent accepter ou refuser la candidature. Cette pratique met clairement en avant les 2 principes du plaisir au travail, à savoir l’intérêt du travail et l’appartenance à un groupe au sein duquel on se sent bien.
  • En France, chez Euro Disneyland Paris, cette entreprise d’environ 15 000 salariés a institué un « Conseil Municipal » constitué de collaborateurs bénévoles en charge de trouver des solutions aux « petits tracas quotidiens » décelés par des « animateurs de quartier » (relais d’informations). Cette communauté se réunit 4 fois par an en dehors des réunions institutionnelles encadrées par la réglementation sociale.

4. Agilité & Liberté

Une entreprise sans ordre...« Désolé, Monsieur le client, je ne peux pas vous répondre, cette décision dépend du siège et je n’ai pas les informations», « On a toujours fait comme ça, pourquoi changer ?», « Ici c’est Versailles, aucun collaborateur n’a de réelle autonomie. Toutes les décisions sont centralisées au Comité de Direction.» La plupart de nos entreprises sont encore organisées selon les bons vieux principes du Taylorisme, à savoir une organisation structurée par métiers, un pouvoir décisionnel centralisé, encadré par des fiches de poste issues d’une classification longuement négociée, le respect absolu des procédures dont la conformité est confiée à l’autorité hiérarchique.
Ce dont certains dirigeants n’ont pas conscience c’est que ce mode de fonctionnement était parfaitement adapté à un monde linéaire et prévisible mais devient contreproductif dans une société de plus en plus complexe, en permanente mutation et imprévisible. [voir en complément l’article Libérer l’initiative de tous, une manière de rendre le travail visible et sortir de la crise !]

Qualité totale, maîtrise des coûts, des risques…Le niveau de précision de ce qui doit être fait et le formalisme qui en découle (règles, procédures, formulaires…), ainsi que les outils de contrôle et de reporting associés permettent à l’évidence de garantir la conformité mais génèrent un niveau de rigidité et de lourdeur administrative qui freinent la réactivité de nos entreprises. Pire, celles qui voudraient se libérer de ces chaînes avouent leur impuissance à le faire, contraintes qu’elles sont par la multitude de normes imposées, soit par l’Etat, soit par leur secteur ou leurs clients (ISO, marché public, RSE, Solvency, Bâle…).

Et pourtant, la différence entre entreprises concurrentes se joue à présent en grande partie sur leurs capacités à faire preuve de réactivité, voire de proactivité. Il leur faut se libérer des anciennes méthodes de management, fondatrices de superbes usines à gaz, et renouer avec le bon sens (se concentrer sur les activités créatrices de valeurs), la simplicité (réduire le nombre de procédures et chasser les activités sans valeur ajoutée…), la débrouillardise (apprendre à faire plus avec moins, partir des contraintes…), modifier leurs structures (organisation par client ou par produit), offrir plus de liberté dans la manière de réaliser les missions (nomadisme, télétravail…) en redonnant du sens, mobilisant autour de valeurs partagées pour se concentrer essentiellement sur les résultats. [voir aussi l’article Gérer l’incertitude ! Faites-en votre alliée. Regards croisés de Marc Halévy sur le devenir de nos organisations…]

3 exemples de pratiques qui renforcent l’agilité et la liberté

  • En France, sous l’impulsion du Colonel Marlot, directeur du Centre des sapeurs pompiers de Saône et Loire (environ 2 500 personnes), un « réseau d’intelligence territoriale (R.I.A.) a été institué, en complément de l’organigramme institutionnel en vue de résoudre des « problématiques sans solution connue ». Cette instance a pour objectif de mobiliser « l’intelligence des foules ». Aussi, ceux qui y participent acceptent de laisser leurs grades, fonctions, anciennetés au début de la réunion de manière à garantir un maximum de liberté d’expression.
  • Au Brésil, au sein de la société Semco (plus de 3 000 salariés), les collaborateurs qui le désirent (environ 75 %) sont libres de se fixer eux-mêmes leurs salaires, de venir travailler quand ils le souhaitent, de s’organiser comme ils l’entendent, à condition toutefois de s’engager sur un résultat et de l’atteindre. La contrepartie de cette liberté ? Respecter son engagement. Et pour ceux qui s’amuseraient à ne pas le faire, ils devront rendre des comptes, non pas à leur hiérarchie mais à toute l’entreprise.
  • En France, chez Poult, pour faire face à une situation financière alarmante en 2007, les salariés ont décidé de s’affranchir de certaines missions support (gestion du temps, des stocks…), de se les partager en plus de leurs missions de manière à se recentrer sur la création de nouvelles valeurs. Le reporting a été simplifié et chacun est libre d’explorer de nouvelles idées et de les partager sans contraintes hiérarchiques ou fonctionnelles avec ses collègues.

5. Collaboration

LEs hommes construisent..« Expliquez-moi pourquoi la direction nous parle de solidarité alors que chaque directeur passe son temps à défendre son territoire», « Avec une organisation en silos, rien d’étonnant à ce que chacun reste dans son coin», « On a grandit tellement vite qu’on ne sait plus qui est qui dans cette maison», « Ici, c’est chacun pour soi». La division du travail n’a pas seulement pour conséquence de freiner l’agilité, elle altère aussi la relation.

Il est fréquent de constater un phénomène de « starisation » de certaines fonctions qui peut parfois aller jusqu’à l’instauration d’une sorte de compétition entre métiers. Cet effet est accentué par les restrictions budgétaires (chaque fonction doit « défendre sa paroisse ») ou encore les politiques de récompenses individuelles (pourquoi a-t-il été promu et pas moi alors que j’ai mieux travaillé ?).

La primauté du résultat, le cloisonnement induit par la division du travail, la prédominance bureaucratique et la centralisation du pouvoir ont altéré la qualité de la collaboration.
L’innovation managériale consiste à recréer du lien, de la proximité, mobiliser l’intelligence collective, autoriser chacun à s’exprimer, donner un avis sur un procédé, une personne, renforcer les liens entre entités et instaurer des moments de convivialité au sein d’un service, entre directions et au niveau de toute l’entreprise.

ll existe de nombreuses manière de retrouver ce qui a été perdu : les espaces collaboratifs, le coaching d’équipe, les ateliers de co-devéloppement, les « vis ma vie », les évaluations étendues ou encore « l’open innovation ». Car la collaboration ne se borne pas à l’entreprise, elle s’étend à présent aux relations avec ses partenaires, ses clients, voire ses concurrents (concept de coopétition).

3 exemples de pratiques qui renforcent la collaboration et la cohésion

  • Aux Etats-Unis, chez Zappos,cette entreprise de vente en ligne de chaussures de 2 000 salariés a grandit tellement vite que les personnes ne se connaissaient plus. Soucieux de préserver la convivialité et la proximité entre ses équipes, son P.D.G., Tony Hsieh, a fait développer une application informatique qui consiste à présenter, lors de sa connexion sur son ordinateur chaque matin, une photo d’un collaborateur et demander à choisir entre 3 noms. Une fois le choix effectué (qu’il soit bon ou non, peu importe) la fiche de présentation du collaborateur apparait alors. Cette pratique, unique au monde, permet de renforcer la connaissance des collaborateurs dans un contexte de fort développement ou d’éloignement des effectifs.
  • Inde, chez HCL Technologies, société de services informatiques d’environ 80 000 personnes, son P.D.G., Vineet Nayar, a institué un dispositif intitulé « Feed Forward ». Sur la base du volontariat, chacun peut communiquer, quand il le veut, un feed-back sur les compétences qu’il apprécie et celles qu’il conseille de développer/renforcer chez un collègue avec lequel il a été amené à travailler, sans pour autant s’inscrire dans un processus formel. Cette démarche est anonyme et bien évidemment bienveillante. L’idée est, après avoir énoncé les aspects positifs, de permettre à un collaborateur volontaire de bénéficier d’un effet miroir sur ses axes de développement professionnel en dehors des évaluations hiérarchiques traditionnelles.
  • En France, la SNCF a institué une « communauté managériale » via un portail accessible à tous les encadrants. Au sein de ce portail, les managers peuvent partager une problématique, échanger sur leurs pratiques et même composer un numéro de téléphone direct afin de bénéficier d’un soutien ou d’un conseil par un expert autre que son manager. Cette pratique est particulièrement intéressante au sein d’entreprises où les managers sont tellement cloisonnés dans leurs fonctions qu’ils se retrouvent seuls à faire face à des situations managériales dont ils ne trouvent pas de solutions. Elle permet de renforcer les liens entre managers qui partagent des problématiques communes, bien qu’ils exercent des métiers différents. L’opportunité de pouvoir partager entre collègues encadrants permet également une plus forte transparence dans les échanges, ce qui n’est pas forcément le cas avec la hiérarchie (crainte d’être mal vu, sensibilité de certains sujets…).

6. Créativité & Innovation

La difficulté n'est pas de...« Je n’ai jamais de retour de ma hiérarchie concernant les idées que je lui propose« , « De toute façon mes idées, je vais les proposer ailleurs parce qu’ici on ne nous demande d’être des moutons« , « J’ai compris, je ne propose plus rien car à chaque fois mon manager s’approprie mon idée« , « On nous demande d’être innovants mais on ne nous accorde pas de temps pour réfléchir« . Et pourtant, tout le monde sait que de nos jours la différence se joue sur la capacité d’une entreprise à se différencier de ses concurrents par l’innovation.

Les gouvernances prônent l’audace, la créativité, le « out of the box » mais ne changent rien à leurs pratiques et leurs modes de management. Beaucoup se sont engagées dans la mise en œuvre de plateformes d’expression d’idées mais les règles de gestion sont encore trop cadrées, les avis sont confiés à des experts qui parfois jugent en fonction de leur expérience et non des « signaux faibles » et tendances émergentes. La maîtrise des risques est-elle incompatible avec l’audace ? Pourquoi l’innovation est-elle encore confiée exclusivement aux fonctions recherche et développement ? Qu’est-ce qui empêche les entreprises d’ouvrir au plus grand nombre l’expression d’idées ?

 L’innovation est une démarche spatiotemporelle :

  • « Spatio » : l’innovation doit être transfonctionnelle et ouverte au plus grand nombre car tout le monde peut avoir des bonnes idées, quel que soit son métier, son statut ou son expérience. Il s’agit davantage aujourd’hui de mobiliser la « sagesse des foules » que de restreindre la recherche de nouvelles idées aux experts. Ouvrir au plus grand nombre permet d’instaurer un processus d’itération qui permet aux personnes de se nourrir les unes les autres (une idée en amène une autre qui en amène au autre…). Saviez-vous que l’idée d’utiliser une carte dans les chambres d’hôtels pour éviter les dépenses d’électricité vient d’un homme de ménage ?
  • « Temporelle » : les idées surviennent à tout moment,que ce soit pendant ou en dehors du temps de travail (sous la douche, dans les transports, au cinéma…). Par conséquent, restreindre l’exploration de nouvelles idées à une réunion de 2 heures n’a plus vraiment de sens.

Enfin, moins vous fixez de « cadre », plus vous augmentez la probabilité d’accéder à la sérendipité (trouver une idée que l’on ne cherchait pas ou par erreur, tels que le post-it, le four à micro-ondes ou encore la pénicilline). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est souvent quand on ne cherche pas que l’on trouve…

 3 exemples de pratiques qui favorisent la créativité et l’innovation

  •  En France, chez Orange (seul opérateur qui n’a pas été percuté par la vague Free – hasard ou coïncidence ?), les salariés peuvent exprimer librement leurs idées via un système d’innovation sociale intitulé IdClic. Le processus permet à n’importe quel salarié, quel que soit son statut, son ancienneté ou son métier de déposer une idée sur une plateforme d’engagement. L’idée est étudiée par des experts volontaires (environ 5 000). Si elle n’est pas archivée (aucune idée n’est considérée comme mauvaise), elle fait l’objet d’une étude de faisabilité avec une estimation des gains nets. Une fois mise en exploitation (l’auteur de l’idée fait partie du projet) elle peut être, selon les bénéfices, déployée au niveau national. Le collaborateur se voit attribué des talents (monnaie virtuelle) qu’il utilisera dans une « boutique dédiée. Depuis 2007, 1/3 des collaborateurs ont déposé une idée (soit environ 122 000 idées déposées). 10 % ont été déployées générant ainsi plusieurs centaines de millions d’économies qui n’aurait pu être occasionnées autrement.
  • Aux Etats-Unis, chez 3M, l’entreprise pratique encore le principe des 80/20. Initiée dans les années 30, son PDG de l’époque, William McKnight, avait un crédo : « Embaucher les bonnes personnes, et les laisser faire ». C’est la raison pour laquelle il a instauré une pratique visant à permettre aux salariés qui le souhaitent de consacrer environ 20 % de leur temps (soit 1 jour par semaine) à travailler sur des projets de leurs choix (en dehors du cadre hiérarchique). Cette démarche a permis de donner naissance à des produits tels que le post-it inventé par 2 chimistes salariés en 1974 (3M vend aujourd’hui plus de 600 produits de type post-it). Cette pratique a par la suite été reprise par d’autres entreprises telles que Google ou Atlassian.
  • Aux Etats-Unis, constatant une augmentation des critiques de ses produits sur la toile, le PDG de DELL, Michael DELL a décidé en 2007 de créer une plateforme internet, intitulée IdeaStorm, via laquelle il a demandé aux internautes de poster les critiques qu’ils voulaient formuler envers ses produits. Cette démarche, certes audacieuse et courageuse (pas très Frenchy vu notre aversion pour l’échec et les erreurs), a permis à cette entreprise d’identifier les causes d’insatisfaction afin d’apporter des solutions. La seconde étape a consisté à associer les clients dans la recherche de nouvelles idées, ce que l’on appelle désormais « l’open innovation ». Certaines idées ont été retenues parmi les 9 000 suggérées. Cette initiative a également permis de renouer le lien avec les clients. Pour trouver de nouvelles idées, il faut élargir le périmètre de suggestions en dehors de l’entreprise. A dire vrai, qui n’aimerait pas contribuer gracieusement à l’essor d’une entreprise que l’on apprécie lorsqu’il n’y a aucun enjeu personnel. Ne serait-ce pas là les prémices du « don d’idées » ? Mais Dell n’est pas seul à s’être engagé dans cette voie. Des entreprises telles que Lego, IBM ou Auchan sont depuis de la partie.

Les 5 étapes pour réinventer son management

  1. Eprouver réellement et sincèrement le besoin de changer

Il existe 2 principales raisons pour lesquelles les entreprises s’engagent dans ce type de démarche :

  • La première est en réaction face à un danger, une crise ou une contrainte d’envergure qui remet en cause la pérennité de l’entreprise comme ce fut le cas pour Poult, Lego ou IBM.
  • La seconde est le fruit d’une conviction d’un leader « iconoclaste » tel que Bill Gore, Vineet Nayar, Ricardo Semler ou Jean-François Zobrist.

Quoi qu’il en soit, et compte tenu des impacts que cela va avoir sur tous les acteurs de l’entreprise, la remise en cause des pratiques managériales ne doit pas être un effet de mode. On voit bien l’inefficacité de certains outils collaboratifs lorsque la gouvernance ne le désire pas vraiment.

  1. Communiquer ouvertement et avec transparence son intention

L’innovation managériale est avant tout d’ordre culturel. Elle impacte les valeurs, les croyances, les comportements et modifie généralement en profondeur les pratiques héritées du siècle dernier (se faire évaluer par des inconnus comme cela se pratique chez HCLT a de quoi perturber si l’on n’adhère pas à l’état d’esprit bienveillant sous-tendu par cette démarche). Pour susciter l’adhésion, il importe d’être le plus clair possible sur les raisons de cette évolution, d’expliquer son ambition et de les communiquer avec authenticité et transparence pour pouvoir inviter les salariés à s’impliquer dans cette évolution, comme l’a fait Leroy Merlin avec son projet Vision.

Bien évidemment cela suscitera des réactions de la part des plus sceptiques mais il vaut mieux traiter les réactions que d’être modéré sur sa vision. Par expérience, les personnes qui n’adhéreraient pas à cette nouvelle vision (et notamment les cadres) n’auront d’autre que choix que de quitter l’entreprise. Zappos a mis en place un processus d’intégration de ses nouveaux collaborateurs au cours duquel elle présente l’entreprise. Au bout d’une semaine, les nouveaux embauchés sont soumis à un choix : soit rester dans l’entreprise, soit quitter l’entreprise avec une prime exceptionnelle de 2 000 dollars (qu’ils ne percevront pas s’ils décident de démissionner plus tard). Cette pratique a pour but d’inciter les nouveaux collaborateurs à se positionner sur leur niveau d’adhésion au fonctionnement et à la culture d’entreprise.

  1. Créer le besoin de changement

Cette étape consiste à autoriser et encourager l’expression de problèmes que tout le monde connaît mais qui sont rarement évoqués ouvertement (Qu’est-ce qui nous empêche de… ? Quelles difficultés rencontrons-nous ?). En d’autres termes, l’entreprise doit inviter les salariés à formuler leurs problèmes, insatisfactions, objections ou doutes, puis y répondre, comme l’a fait HCLT à travers son système U&I.

Il se peut que certaines questions restent sans réponses. Peu importe, le plus important n’est pas de trouver la bonne solution mais de modifier la culture de manière à transformer les problèmes en opportunités d’amélioration de l’existant.

Le plus important à ce stade est de concentrer les problèmes et insatisfactions dans un espace dédié de manière à en avoir progressivement la maîtrise plutôt que de les laisser se répandre dans les couloirs ou autour de la machine à café.

Pour soutenir cette dynamique, il est préférable de préparer les managers (via un séminaire ou des groupes de travail) à adopter une nouvelle posture et notamment à quitter le costume de l’omniscience pour endosser celui de « manager coach » (accompagnement et soutien).
Libérer la parole suppose 2 qualités. Tout d’abord le courage. Il n’est pas évident pour le management d’entendre des critiques et d’être remis en cause. Mais la critique n’est pas forcément un jugement. Elle peut être aussi un point de départ d’un renouveau. Il faut accepter que tout ne soit pas parfait ou que ce qui était un atout par le passé puisse devenir une limite pour le futur.

La seconde qualité est l’humilité, à savoir accepter et faire accepter le principe que le management ne sait pas tout. Le mythe du manager omniscient est à l’origine de beaucoup de problèmes dans nos entreprises (démotivation du manager, évitement de certains problèmes, critiques de collaborateurs, déresponsabilisation suite à une erreur…). Oser dire à son équipe qu’on ne sait pas mais que l’on compte trouver une solution ensemble est par expérience extrêmement libérateur pour les managers… et les collaborateurs.

  1. Mobiliser l’intelligence collective

Résoudre les problèmes ou trouver de nouvelles idées ne dépend plus de modèles élaborés par des consultants de renom (il n’y en a plus) mais repose à présent sur la capacité des entreprises à faire émerger et valoriser les idées du plus grand nombre. Cette étape consiste à élargir le « champ d’expression des idées » à tous les niveaux de l’entreprise. Elle suppose de s’émanciper du paradigme selon lequel seuls les experts ou la hiérarchie ont de bonnes idées.

Des entreprises telles qu’Orange, Google ou Lego ont su innover en permettant au plus grand nombre d’exprimer leurs idées par le biais des systèmes informatiques dédiés, soit internes (IdClic d’Orange, GoogleIdeas…), soit externes (IdeaStorm de Dell, Mindstorm de Lego…).

Il est fréquent que cette étape génère une certaine résistance de la part du management qui se voit en quelque sorte déposséder de son pouvoir d’initiative, voire décisionnel. Tel fut le cas pour une grande entreprise dont le PDG a validé une idée exprimée par un technicien qui a remis en cause un projet d’un dirigeant (et qui a fait gagner des millions à son entreprise).

Tout le monde ne voudra pas jouer le jeu mais ce n’est pas votre objectif. Votre but est de permettre à vos alliés et ceux qui ont des idées de pouvoir s’exprimer et s’impliquer dans votre projet. N’oublions pas que le but du jeu est de convertir les 61% de non engagés en engagés. Laissez les opposants là où ils sont. Lorsque la « masse critique de succès » sera atteinte, les opposants à la nouvelle culture managériale n’auront plus d’autre que choix que d’adhérer ou de se démettre. La force du collectif est nettement supérieure à celle du statut.

  1. Instituer des communautés

 Décloisonner sans pour autant modifier l’organigramme s’obtient par l’instauration de « communautés d’engagement ». En d’autres termes vous pouvez mobiliser vos collaborateurs, sur la base du volontariat (c’est primordial), sur un certain nombre de thèmes, que ce soit pour renforcer les liens ou le partage d’expériences autour de missions communes, tel que le fait la SNCF avec sa « communauté managériale », de problématiques sans solutions connues, comme le pratique le S.D.I.S. 71, d’expérimentations comme le fait Facebook ou encore pour créer de la convivialité autour de sujets extra-professionnels, comme c’est le cas chez Accenture.

Outre le décloisonnement, cette démarche permet de renforcer l’agilité par la mise en relation de collaborateurs volontaires et bienveillants. Elle représente une bonne opportunité pour les entreprises qui seraient freinées par des acteurs réfractaires au changement.

Réinventer son management : les vraies fausses bonnes raisons de ne le pas le faire

 Si la plupart des entreprises avouent être séduites par toute ou partie de ces innovations, la quasi majorité recule lorsqu’il s’agit de s’engager dans la réinvention de leurs pratiques, au motif que :

  • « elles ne sont pas encore prêtes » (lorsqu’elles le seront, ne sera-t-il pas trop tard ?),
  • « chez nous c’est différent » (en quoi ? rencontrez d’autres entreprises et listez les points communs. Vous constaterez que, si les métiers ne sont pas les mêmes, les modes de collaboration sont quasiment identiques),
  • « cela va être compliqué de faire changer les mentalités » (c’est là tout l’enjeu),
  • « les instances représentatives du personnel s’opposeront très certainement aux changements de pratiques managériales » (pourquoi les représentants du personnel verraient un inconvénient à renforcer le bien-être, la confiance, l’autonomie ou encore la cohésion de ceux qu’ils représentent ?),
  • « on n’a pas de budget » (en quoi demander à des collaborateurs d’évaluer leurs managers nécessite de l’argent ?)

DRH, acteur majeur de l’innovation managériale. Oui, mais comment ?

 Si l’innovation est traditionnellement dédiée à la fonction recherche & développement, le pilotage des évolutions, réformes, révolutions managériales sera très probablement confiée à la fonction ressources humaines, comme ce fut le cas pour la responsabilisation sociale/sociétale ou plus récemment pour le management des risques psychosociaux.

Cependant, alors que les professionnels de la fonction R.H. étaient soutenus par l’évolution de la réglementation sociale (Accord National Interprofessionnel contre le stress, Obligation à venir sur l’entretien professionnel tous les 2 ans…) ou la légitimité de concepts outre atlantique (matrice SWOT, objectif SMART, reengineering…), il n’en sera pas de même en ce qui concerne l’innovation managériale, bien au contraire, car les évolutions seront propres à chaque entreprise, en fonction de l’écart entre sa culture actuelle et de son ambition de changement.

La remise en cause des pratiques actuelles sera très certainement au début mal perçue par un certain nombre d’acteurs de l’entreprise. Certains dirigeants n’accepteront pas de voire leur autorité modifiée, certains experts ne vivront pas bien le fait que tout le monde puisse mettre un nez dans leurs pratiques, certains partenaires sociaux craindront de voir leur représentativité s’évaporer au détriment d’un rapprochement entre encadrement et collaborateurs, certains qualiticiens opposeront une « non conformité » aux principes de la qualité, les organisateurs contesteront la suppression des outils qu’ils auront mis des années à instaurer et certains juristes déclencheront l’alerte rouge par rapport au code du travail, conventions collectives ou accords d’entreprises.

Bref, ce changement sera sans doute le plus difficile que les D.R.H. auront a piloter, tout simplement parce que cette discipline vient contredire bon nombre de paradigmes managériaux fortement ancrés depuis plus d’un siècle.

Si la fonction ressources humaines se verra confiée le pilotage de ces (r)évolutions, elle ne pourra pas se positionner en expert comme ce fut le cas pour les classifications, les référentiels compétences ou les démarches d’évaluation. Son rôle sera principalement de créer les conditions d’une réforme culturelle, de fédérer, d’encourager, de rassurer, de faciliter, de soutenir et de valoriser les succès, de relativiser les échecs.

Les D.R.H. devront se montrer exemplaires et progressivement céder la place à des dirigeants convaincus qui deviendront les principaux « maitres à bord » et les ambassadeurs de nouvelles pratiques, plus démocratiques, plus collaboratives.

Il leur faudra faire preuve à la fois d’audace et d’humilité, d’enthousiasme et de patience, de structuration et de souplesse et surtout d’inventivité pour impulser cette transformation. Mais n’est-ce pas ce à quoi était destinée cette fonction ?


Je termine cet article en reprenant une citation Isaac Getz dans le très bon article « Et si on partageait le pouvoir? » publié dans La Tribune : « Pour atteindre la performance forte et durable qu’ils visaient, ces patrons ont renoncé à agir sur l’homme (à le contrôler, le motiver, le manager) et préféré agir sur son environnement pour que ce dernier le nourrisse » et en reprenant le visuel de l’équation de Laurence Vanhée pour synthétiser le management émergent qui commence à faire ses preuves :

Liberté + Responsabilité = Bonheur + Performance Cet article fort documenté pose bien la question du type de leadership nécessaire à l’évolution des organisations : je vous invite à relire et à signer le manifeste « Le management fait sa révolution ! De quels leaders avons-nous besoin ?« 

La mise en forme en bande dessinée de ce manifeste est remarquable; c’est le travail d’un collaborateur talentueux de Lippi, Grégory Maria. Le Manifeste en BD

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L’innovation sociale, un puissant levier de transformation des entreprises

A plusieurs reprises, nous avons évoqué l’importance d’oser regarder les bonnes nouvelles et les solutions qui marchent pour donner l’envie d’agir ! La deuxième édition dImpact Journalism Day et L'Express Du Business et du sense l’Impact Journalism Day coordonnée par Christian de Boisredon et SparkNews fin septembre a mobilisé 40 médias dans 40 pays pour permettre à 100 millions de lecteurs d’avoir accès à ces « solutions qui inspirent » mais restent trop souvent sous le radar des médias.

Tout au long de l’année, la rubrique Business & Sens de L’Express est un média qui mobilise le meilleur de nous-mêmes pour donner envie de passer à l’action et montre qu’un nouvel art de vivre ensemble est possible. Début septembre, l’hebdomadaire d’actualité sort la troisième édition d’un hors-série qui nous plonge dans le monde inspirant des pionniers qui changent le monde.

Loin de décrire un monde utopique qui aurait choisi de se couper de la réalité –souvent peu reluisante – de notre société, ce magazine présente quatre-vingt dix pages d’expériences variées mettant en lumière des tendances émergentes de la sphère économique et sociale : les nouvelles méthodes de travail collaboratif, l’innovation frugale, le développement durable, le mouvement des makers et des fablabs, la consommation collaborative et les échanges directs entre consommateurs, le big data au service du développement des territoires, les nouveaux modes d’apprentissage, ou l’émergence des intrapreneurs qui font bouger les lignes au sein de leurs organisations…

Isabelle Hennebelle, rédactrice en chef de ce numéro spécial, annonce dans son édito « De Isabelle Hennebelle, L'Expressl’espoir et de l’action » le fil rouge et la cohérence de la mutation fondamentale de l’économie en cours : « l’innovation sociale peut s’avérer un puissant levier de transformation pour les entreprises. » Dans un monde qui bouge de plus en plus vite, les entreprises doivent en effet se réinventer au risque de se faire dépasser voire de disparaître. S’inspirer et prendre soin de son écosystème est donc devenu une obligation ; ceux qui ne baseront leur stratégie que sur la seule génération de profits risquent de le payer cher ! Cependant énoncer ce constat suffit rarement à contrebalancer le poids des habitudes et les résistances aux changements. Vague numérique, raréfaction des ressources, compétition mondiale, nouveaux modes de consommation : tous les secteurs d’activité sont bouleversés. Ceux qui incorporeront ces tendances de fond dès à présent gagneront en agilité pour s’adapter aux évolutions en cours en développant une acuité accrue aux sources de renouveau de leur métier. Pour cela, l’ouverture sur l’écosystème est cruciale. La co-construction avec de nouveaux acteurs est essentielle.

Quels sont les changements en cours ? Quelles sont les nouvelles réponses proposées ? Dirigeants, salariés, entrepreneurs : extraits et citations tirés de ce numéro spécial… (que vous pouvez encore vous procurez > ici)

Plus qu’une responsabilité sociale, un changement de modèle

Jochen Zeitz, ancien PDG de Puma et pionnier du développement durable fait la Hors Série L'Express Ces pionniers qui changent le mondecouverture du hors-série et son ouverture dans un long entretien où il précise les raisons de son engagement : « Les affaires ont engendré richesses et prospérité mais ont aussi déclenché des inégalités et des dégradations environnementales. Je pense que les entreprises ont la responsabilité de trouver des solutions. Elles doivent être moteur dans le sociétal comme elles le sont dans l’économique. » En octobre 2012, il crée avec Richard Branson la B Team, une association qui regroupe une quinzaine de personnalités visant à faire émerger un « plan B » qui place l’homme et la planète au même niveau que le profit en contraste avec le plan A selon lequel l’entreprise ne serait mue que par le profit. Ils militent pour un compte d’exploitation « triple bottom line » pour refléter les résultats financiers, sociaux et environnementaux et l’émergence d’une génération de dirigeants ayant envie d’agir. « On ne parle pas de responsabilité sociale d’entreprise, mais d’une totale redéfinition du monde des affaires » souligne-t-il.

« Les entreprises au XXIème siècle n’ont plus le choix, elles vont de plus en plus être jugées sur leur performance économique mais aussi sociale et environnementale. » précise Jean-Paul Agon, PDG de L’Oréal qui a lancé fin 2013 un ambitieux plan de transformation engageant son entreprise à ce que d’ici à 2020, « 100% de nos produits aient un impact environnemental et social positif. Il s’agit de transformer la façon dont nous produisons depuis un siècle. » C’est le concept de « valeur partagée » dont Michael Porter s’est fait l’écho dans un article qui a fait date dans la Harvard Business Review de janvier 2011.

Dans l’article « L’innovation au bénéfice de tous », Maximilien Rouer du cabinet de conseil en Stratégie Économie Positive BeCitizen constate également « Même si elles restent encore rentables pour quelque temps, les stratégies fondées sur l’économie de la rente, sur des ressources naturelles illimitées et sur la compétition pour le seul profit, sont obsolètes. » Se préoccuper de son écosystème, repenser les business modèles, s’ouvrir à une part d’inconnu sur les modes de production et de consommation : les mutations en cours requièrent du courage, de l’audace et un changement de regard sur les pratiques habituelles des affaires. Bénédicte Faivre-Tavignot, directrice de la Chaire Entreprise & Pauvreté Social Business à HEC trace une perspective intéressante pour se réinventer : « Les entreprises qui anticipent les tendances et savent se réinventer ont plus de chance de rester compétitives que celle qui continuent à faire du business ‘as usual’ ; et l’innovation sociale peut constituer un puissant levier pour les aider à penser en dehors du cadre. »

Ainsi l’innovation sociale peut retourner la contrainte en opportunité ; dépasser la simple limitation des externalités négatives de l’activité de l’entreprise pour améliorer concrètement son écosystème redéfinit bien l’ambition d’un nouveau paradigme qui va au-delà des politiques traditionnelles de la RSE en s’intégrant au cœur du métier de l’entreprise et de son processus de création de valeur.

Changer de regard sur l’automobile pour répondre au défi de la mobilité durable

Plusieurs exemples illustrent le changement de paradigme et la nécessaire adaptation de pans entiers de notre économie. L’industrie automobile en est un. On l’associe aujourd’hui à délocalisation, fermetures de sites industrielles, nuisances urbaines, pollution de l’air,… La nécessité de se réinventer présente l’avantage d’être plus nette que dans d’autres secteurs ! Or, le futur de l’automobile ne passera pas seulement par l’émergence du véhicule électrique, dont les progrès techniques sont indéniables mais avec des parts de marché qui demeurent faibles, des infrastructures qui restent à créer et des usages qui restent pour beaucoup à inventer. Tant que l’offre électrique restera conçue sur le même modèle historique de la vente de véhicules thermiques, les constructeurs n’imagineront pas la voiture de demain, objet de mobilité partagé et connecté.

Ainsi, pour ne pas être réduits à de simples fournisseurs d’objets, les constructeurs doivent repenser les modes de déplacement, comprendre les nouveaux usages/attentes des conducteurs et intégrer l’impact du numérique et de la consommation collaborative. Renault essaye de relever ces défis en se forçant à « sortir du cadre » pour être en phase avec les défis de la mobilité durable pour tous. Les nouveaux usages des voitures autonomes – les premières Next Two avec délégation de conduite apparaitront d’ici 2020 – sont étudiés au sein du laboratoire d’innovation ouverte IDEAS Laboratory : que ferons-nous quand nous n’aurons plus à avoir les yeux rivés sur la route et la conduite ? L’appartenance patrimoniale de la voiture tendra à diminuer au profit du besoin d’usage, grâce à l’autopartage, au covoiturage et autres services que permettront les informations interconnectées des véhicules et du trafic. Au-delà de l’éco-conception des véhicules pour des consommations toujours en baisse, le programme d’éco-conduite ‘Eco2’ rapproche Renault du besoin de ses clients en leur permettant de réduire leur consommation de carburant par une conduite économique.

Logo Renault MobilizFace à ces enjeux de ré-invention, pour penser en dehors du cadre et imaginer la mobilité durable pour tous, Renault a lancé en 2010 un programme de Social Business baptisé Mobiliz, dont nous nous étions fait l’écho. A l’initiative de Claire Martin, directrice de la communication et de la RSE et piloté par François Rouvier, Mobiliz vise à trouver des réponses nouvelles et co-construites pour les personnes en situation de mobilité précaire. Les garages solidaires qui s’appuient sur le réseau de la marque au losange proposent des réparations et maintenances à prix coûtants aux personnes sous le seuil de pauvreté ne pouvant pas assumer l’entretien de leur véhicule. Le fonds d’investissement Mobiliz Invest permet de soutenir des plateformes de mobilité comme Wimoov, la mise à disposition de chauffeurs au chômage auprès de personnes ne pouvant pas/plus conduire leur véhicule (Chauffeur and Go) ou encore l’intermodalité train/voiture/location avec Mobileco.

Consommation collaborativeLa consommation collaborative, fabrique d’avenir ?

Autre explication au besoin de renouveau des modèles d’affaires et du changement de regard sur la manière dont les entreprises exercent leur métier : l’émergence de la consommation collaborative, dont le site consocollaborative.com et le mouvement OuiShare se sont fait les porte-paroles.

Loin de se réduire à une consommation de crise ou à une pratique de geeks idéalistes, l’essor d’Internet et des réseaux sociaux permet de mettre en relation de manière renouvelée des individus, leurs besoins respectifs (où l’offre et la demande peuvent se rencontrer en quelques clics) et créer les conditions nécessaires pour ce qui est à la base de tout échange : la confiance entre les membres d’une communauté. Ce mouvement émergent de la consommation collaborative, horizontal et désintermédié rebat complètement les cartes et oblige à réinventer les modes de fabrication et de distribution. ConsoCollabEn très peu de temps, de nouveaux acteurs sont venus bousculer les modèles en place en développant des applications peer to peer, le gré à gré entre particuliers : Uber ou Lyft revisitent le modèle des taxis ou des voitures avec chauffeur ; Airbnb est devenu le premier vendeur de nuitées devant toutes les chaînes hôtelières en permettant à chaque habitant de louer son logement ; le français BlaBlaCar lève également avec succès les fonds nécessaires (100 millions de dollars) au développement international du covoiturage, qui regroupe déjà 600.000 covoyageurs chaque mois en France.

Open source, collaboratif, do-it yourself : le mouvement des makers met l’accent sur l’apprentissage par la pratique dans un cadre social, notamment dans des espaces de conception d’objets dans des fablabs, laboratoires de fabrication ou autres makerspaces, des espaces de création pour des personnes partageant un même état d’esprit de partage de leurs idées, leurs outils et leurs compétences. Le troc de matériel ou l’échange de services se développent. Ces tendances de collaboration se diffusent également à l’intérieur des organisations; l’entreprise découvre de nouveaux modes de fonctionnement. A l’heure du collaboratif, le travail peut gagner en créativité, en responsabilité, en engagement. La transformation managériale doit accompagner ces évolutions. C’est ce que met en perspective l’article « Le travail à l’heure du collaboratif. »

L’intrapreneuriat social : quand le changement vient de l’intérieur !

Dernière illustration de ce riche Hors Série : les différents portraits de cette nouvelle race d’entrepreneurs du changement qui font bouger les lignes au sein de leur organisation en inventant de nouvelles façons de créer de la richesse à partir d’une mission au départ conventionnelle dans l’entreprise : les intrapreneurs sociaux. Nous les avions déjà Tag Innovation socialeévoqué dans l’article «Corporate changemakers», ces intrapreneurs sociaux qui montrent que l’innovation sociale peut venir de l’intérieur de l’entreprise. A leur propos, The Economist écrivait dans l’article Unreasonable people power en 2008 : « Les plus grands agents de changement sociétal ne sont probablement pas les entrepreneurs sociaux, aussi intéressants soient-ils… Il y a de grandes chances que ce soient des personnes très raisonnables, travaillant pour des grandes entreprises, qui voient des manières de concevoir des meilleurs produits ou d’atteindre de nouveaux marchés, et qui ont les ressources pour le faire. »

Comme je l’illustrais dans un article récent, de même que les mots Social et Business sont comme deux aimants de même polarité qui se repoussent plus qu’ils ne s’attirent, c’est souvent dans le juxtaposition de mots aux significations contradictoires que l’on approche le mieux les savoir-faire paradoxaux développées par l’intrapreneur social pour A la rencontre d'entrepreneurs qui changent le mondecréer de la rupture tout en s’intégrant aux stratégies de son entreprise. Après avoir publié « A la rencontre des entrepreneurs qui changent le monde », Jonas Guyot et Matthieu Dardaillon ont réalisé leur mémoire de recherche à l’ESCP Europe sur les compétences des intrapreneurs sociaux. Ils les qualifient d’utopistes-pragmatiques, d’explorateurs-diplomates, de passionnés-patients, de classiques-alternatifs : c’est ce qu’il faut pour être entrepreneurs agiles au sein d’infrastructures rigides !

En écho à la tribune de Jacques Attali qui invite à entreprendre sa vie autrement, « en cherchant sans cesse en quoi elle peut être unique, en quoi elle permet de faire quelque chose que personne d’autre ne ferait de la même façon« , l’article « Des missionnaires en col blanc » décrit ces démarches innovantes qui concilient profit et solidarité au cœur de parcours individuels, dont celui de Jean-Marc Guesné du groupe BEL, d’Emmanuel de Lutzel de BNP Paribas et le mien pour illustrer cette tendance émergente dans de plus en plus d’entreprises > téléchargez l’article ici. Clin d’œil amusant et hasard de circonstance, nous nous sommes retrouvés tous les trois dans une table ronde autour de l’intrapreneuriat social lors du World Forum Lille 2014 le 24 octobre dernier : en voici le compte-rendu Storify.

« L’intrapreneur a besoin d’un équilibre économique permettant de couvrir ses coûts, car son activité est insérée dans le processus business de l’entreprise » témoigne Emmanuel de Lutzel, vice-président social business de BNP Paribas qui a développé la microfinance dans une douzaine de pays pour la banque avec près de 1,5 micro-entrepreneurs soutenus. Il en est convaincu : « Un mouvement de fond est à l’œuvre, les cadres ont besoin de sens au travail et les 25-30 ans rêvent de travailler dans des entreprises engagées. »

La conclusion revient à Isabelle Hennebelle qui synthétise dans son édito du 10 octobre « Réinventer l’entreprise » les enjeux de création de valeur en entreprise depuis la perspective de l’innovation sociale :

« Dans la France en crise, des pionniers se relèvent les manches pour bâtir les fondations d’un monde plus inclusif et collaboratif, conciliant performance économique et impact sociétal. Situés non pas en marge, mais au cœur du système, nombre de ces visionnaires sont dirigeants, salariés, entrepreneurs sociaux et jeunes diplômés. Ils ont intégré ce que d’autres continuent de nier: face à l’ampleur des défis (risques environnementaux, essor de la compétition avec les pays émergents, omniprésence des nouvelles technologies, raréfaction des ressources naturelles…), l’entreprise n’a plus d’autre choix que de se réinventer. 

Loin d’être naïve, leur ligne de conduite est dictée par un constat réaliste: « Aujourd’hui, le coût de l’inaction est plus important que le coût de l’action », a expliqué Paul Polman, président d’Unilever, lors 7e Forum mondial Convergences en septembre à Paris. Ces patrons pionniers ont aussi compris que le monde de demain ne s’invente pas dans les seuls labos de R&D gardés comme des citadelles, mais au contraire en s’ouvrant à des collaborations de plus en plus complexes avec les pouvoirs publics et le monde associatif. »

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Le Social Business, une nouvelle manière de créer de la valeur partagée !

Le Social Business est un puissant vecteur de renouveau pour l’entreprise, estiment Nicolas Cordier, chargé de mission Social Business chez Leroy Merlin et Jean Bernou, PDG de de McCain Europe Continentale, porteurs du projet SoBizHub | Social Business Nord de France. Tribune co-signée dans L’Express le 20 octobre 2014.

Social BusinessLes mots Social et Business sont comme deux aimants de même polarité qui se repoussent plus qu’ils ne s’attirent ! La frontière entre des actions sociales cantonnées au domaine privé et des finalités économiques exclusivement centrées sur la maximisation des bénéfices est en train de s’estomper. De nombreux exemples de résolution de problématiques sociales, de manière durable parce que rentable au cœur de la logique compétitive des entreprises semblent ouvrir une nouvelle voie de réconciliation de l’économique et du social. Des solutions inédites entre acteurs qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble, entreprises, associations, pouvoirs publics voient le jour.

Les entreprises seraient-elles ainsi devenues philanthropes ? Qu’ont-elles à gagner dans cet engagement auprès des plus démunis ? Tentative de rachat d’une bonne conscience ou manipulation de l’opinion sous forme de social washing après la tendance à « verdir » des décisions en faveur de l’environnement ?

Ces questions inhérentes à l’association peu familière du social et du business soulignent la difficulté à sortir de cette double injonction qui place les entreprises soit dans une perception d’autisme face à son environnement proche soit dans une manipulation de l’opinion à des fins purement mercantiles.

Les expérimentations que nous avons pu mener nous montrent à la fois que c’est un chemin nouveau et peu fréquenté et dans le même temps qu’il est créateur de valeur partagée pour l’entreprise. C’est un puissant levier de ré-invention de nos modèles d’affaires. Dans un monde qui bouge de plus en plus vite, c’est une manière d’aller en terres inconnues et de transformer notre regard sur notre manière d’exercer nos métiers.

Depuis plus de deux ans, des vendeurs Leroy Merlin animent des cours de bricolage et maintenance locative pour des personnes en attente de logement social hébergées par Emmaüs Solidarité : 180 personnes ont été formées. Depuis début 2014, l’enseigne réoriente tous ses invendus de l’entrepôt vers l’Agence du don nature qui les a redistribués à plus de 150 associations facilitant ainsi l’équipement solidaire de 32.000 foyers. Plusieurs magasins participent à des programmes d’Auto Réhabilitation Accompagnée avec l’association Les Compagnons Bâtisseurs pour redonner l’envie et les moyens de s’approprier leur logement à des habitants, en leur donnant les moyens de faire par eux-mêmes : cours de bricolage, prêt d’outils, accès aux matériaux…

Fin 2012, McCain a lancé un joint-venture avec Yunus Social Business en Colombie. « Campo Vivo » permet à de petits agriculteurs démunis de se former aux bonnes pratiques agricoles durables et sécuriser leur travail par une rémunération stable et des contrats pluriannuels. En France, c’est l’entreprise « BON et Bien » qui vient d’être lancée pour favoriser l’insertion et lutter contre le gaspillage alimentaire. Des chômeurs longue durée accompagnés par Randstad collecteront les écarts de triage de légumes auprès des agriculteurs travaillant avec McCain dans le Nord Pas-de-Calais qui seront utilisés dans la préparation de soupes commercialisées ensuite dans les centres E. Leclerc de la région. Pour produire 300 litres de soupe chaque jour, des dizaines de tonnes de pommes de terre, endives, oignons, carottes et autres légumes seront revalorisées au lieu d’être gaspillées. L’équilibre financier permettra l’atteinte des finalités sociales et environnementales.

Ces différentes expérimentations impliquent le cœur de métier de l’entreprise, avec des acteurs de terrain, dans un modèle économique équilibré pour des actions à fort impact social. Entreprendre autrement est une nécessité. Le Social Business est un puissant vecteur de renouveau de la mission de l’entreprise !

Du business et du sensCette tribune a été publiée le 20 octobre dans l’excellente rubrique « Business & Sens » de L’Express animée par Isabelle Hennebelle. Dans la même veine, Philippe Vasseur, ancien Ministre de l’Agriculture et actuel président de la CCI Nord de France y proposait quelques jours auparavant sa vision sur les défis actuels de notre époque, en soulignant l’urgence de « changer de logiciel » pour répondre à la Philippe Vasseurnécessaire adaptation d’un monde en profonde mutation qui ne sait plus toujours vers où il va : « Nos façons de produire, de consommer, de vivre seront très profondément modifiées. Le monde est entré dans une période de rupture qui va aboutir à une transformation radicale des systèmes économiques et des organisations sociales. Il en résulte dès à présent de grands défis qui s’imposent à tous, en particulier aux entrepreneurs. »

Les neufs principaux défis ainsi que les façons de lesLogo World Forum Lille relever seront au centre des interventions de la huitième édition du World Forum Lille du 21 au 24 octobre :

  1. Le défi des ressources, des matières premières fossiles qui ne sont pas inépuisables mais aussi de la terre et de l’eau indispensables à la vie,
  2. Le défi des technologies, des possibilités qu’elles ouvrent, des limites qu’elles repoussent sans cesse, des espoirs et des craintes qu’elle engendre,
  3. Le défi des emplois, de leur nombre à venir, de leur évolution qualitative, de l’organisation future du travail,
  4. Le défi des inégalités dont l’accroissement représente un risque majeur, dès à présent et à très court terme,
  5. Le défi de l’éducation pour permettre enfin à tous, partout et à tout moment de la vie d’avoir équitablement accès aux savoirs,
  6. Le défi de la démographie, avec un quadruplement de la population africaine d’ici la fin du siècle et, en face, un vieillissement de la population des pays développés lourd de conséquences,
  7. Le défi de la finance, que nous souhaitons plus « productive » que spéculative, plus au service de l’économie, bref : plus responsable,
  8. Le défi de l’information, chamboulée par le déferlement d’internet et des réseaux sociaux,
  9. Le défi des territoires qui, dans le contexte de la globalisation, s’affirment comme des espaces cohérents pour expérimenter et promouvoir de nouveaux modèles.

Il conclut cette tribune intitulée « Le salut ne viendra pas du ciel, mais d’en bas » par le constat suivant : « Les défis auxquels nous sommes confrontés sont mondiaux. Mais les réponses ne sont pas nécessairement globales. Aucune organisation n’est en effet en mesure d’imposer et de faire respecter des règles universelles. L’uniformité serait d’ailleurs contraire à l’extrême pluralité des situations qui implique une grande diversité des approches.  

Le salut ne viendra pas du ciel, c’est-à-dire d’en-haut mais d’en bas : de la conjonction des initiatives, qui, sur le terrain, donnent dès à présent une application concrète aux nouveaux modèles de société en train d’éclore. 

C’est évidemment difficile à admettre pour les responsables économiques et politiques qui refusent de changer de logiciel ! Mais c’est une réalité exaltante pour qui veut participer à la révolution positive de ce XXIème siècle. »

ETony Melotot toujours en lien avec cette édition 2014 du World Forum Lille, Isabelle Hennebelle a souligné l’importance de l’entrepreneuriat pour la résolution des problématiques actuelles dans son édito « Vers un monde sans laissés-pour-compte » basé sur l’expérience de Gawad Kalinga et de Tony Meloto aux Philippines dont nous nous sommes fait l’écho dans l’article Tony Meloto, bâtisseur de rêves et innovateur social qui vise l’éradication de l’extrême pauvreté aux Philippines d’ici 2024

Dans un monde de plus en plus globalisé, la recherche de solutions nouvelles pour adresser de manière concrète, agile et frugale les problématiques sociales et environnementales concerne tous les acteurs. Le Social Business ouvre un chemin de crête passionnant à la recherche de nouveaux modèles à la frontière de l’économique et du social, pour une économie plus inclusive.

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« Qu’est-ce qui nous rend humains ? » ou l’invitation à dépasser nos clivages pour construire un nouvel art de vivre ensemble

Dans un monde globalisé qui ressemble parfois de plus en plus à un immense supermarché ; face à l’essor de la technologie qui envahit nos quotidiens au point qu’une part importante de nos échanges se fait par réseaux sociaux interposés, la question « Qu’est-ce qui nous rend humains ? » est pleine de sens. C’est aussi le titre d’un livre que son auteur Jean-Louis Lamboray a eu la gentillesse de m’adresser à sa sortie en avril 2013.

Qu'est-ce qui nous rend humains, Jean-Louis LamborayCe livre est d’abord un récit qui se fonde sur différentes expériences dans le monde, au départ liées à des réponses nouvelles et efficaces dans la lutte contre le sida. En s’interrogeant sur ces nouvelles façons de faire qui permettent de réels progrès, l’auteur nous amène à découvrir le « pouvoir décapant » du regard positif sur la vie d’autrui. En refaisant confiance en l’homme, en valorisant ses forces et la capacité de tout groupe à résoudre de manière durable les problématiques auxquelles il est confronté, ce récit s’adresse à tous ceux qui veulent redonner du sens à leur engagement et interroge aussi bien les pratiques managériales en entreprise que le renouveau du rapport avec les bénéficiaires dans le secteur social.

En ce sens, des parallèles peuvent être faits avec des réflexions déjà partagées dans ce blog : l’absence d’être dans notre économie (Emmanuel Faber), l’entreprise qui croit que l’homme est bon (Jean-François Zobrist) ou la présomption de confiance comme base du management (Laurence Vanhée et Frédéric Lippi), la confiance dans le potentiel inexploré des plus pauvres (Muhammad Yunus) ou la force des communautés locales pour éradiquer la pauvreté (Tony Meloto) ou plus récemment sur le ‘goût de l’autre’ et l’économie comme lieu de lien (Elena Lasida)…

Mettre les personnes au centre des solutions, une vision souvent absente dans nos organisations !

Dans les années 1990, alors que l’épidémie du sida continuait à fortement se développer, seuls le Nord de la Thaïlande, l’Ouganda et le Brésil avaient réussi à faire reculer le virus. A la base de cette réussite, les habitants de ces trois zones géographiques avaient expérimenté un cheminement commun : ils étaient sortis du déni, ils avaient fait du sida leur affaire et agissaient localement pour en venir à bout.

Dr Jean-Louis LamborayIntrigué par ces expériences et les résultats à contre-courant de la tendance générale, le docteur Jean-Louis Lamboray a cherché à comprendre et à partager ces bonnes pratiques. Ce médecin belge a démarré sa carrière pendant 13 ans au Congo Kinshasa en contribuant à la mise en œuvre de la réforme des services de santé de ce pays puis comme conseiller en santé à la Banque mondiale à Washington. Impliqué dans le processus de création d’ONUSIDA, il y travaillera pendant près d’une décennie de 1995 à 2004.

Dans un premier livre publié à l’automne 2004 « SIDA, la bataille peut être gagnée », Jean-Louis pose un diagnostic plein de bon sens mais loin des solutions techniques SIDA, la bataille peut-être gagnée, JL Lamborayglobales des ‘experts’ : « La bataille contre cette épidémie ne se gagne ni dans les cabinets ministériels ni dans les buildings des grandes institutions internationales mais dans les chambres à coucher ! C’est en s’appuyant sur les solutions conçues par les communautés locales, les malades et leurs familles que le sida recule. Et les résultats de ce véritable ‘vaccin social’ sont spectaculaires : en Thaïlande, dans une province du nord, la prévalence de séroposivité chez les jeunes gens de vingt et un ans est passée de 20 % à 1 % en dix ans de mobilisation. Pendant ce temps, au Bostwana, l’espérance de vie a baissé de trente ans… »

Devenir acteurs de leur vie, reprendre en main leur destin pour répondre aux enjeux majeurs auxquels ils devaient faire face : l’approche par la compétence pour trouver des réponses locales semble être efficace. Jean-Louis essaiera de développer cette approche terrain, bien loin des approches macro des ‘spécialistes’, au sein d’ONUSIDA, sans succès. C’est ce qui l’amena à quitter cette organisation pour créer en 2004 l’association La Constellation. Tel un laboratoire d’innovation ouverte et partagée, ses membres visent à diffuser la compétence face au sida plus vite que le VIH lui-même, en stimulant le partage d’expériences.

Le changement vient de ce qui va bien !

L’appropriation locale de leur santé est la clé du succès des zones dans lesquelles la maladie a reculé. Ouvrir la discussion, se responsabiliser par rapport à la problématique est fondamental pour utiliser l’accès aux soins.

Qu'est-ce qui nous rend humains, membres de La ConstellationPour Jean-Louis, le changement vient donc de ce qui va bien. Il ne vient pas de ce qui est apporté aux populations. Le sida est, à cet égard, un exemple typique. « Quand on va au devant d’endroits où les gens sont infectés, dans quelle position se trouve-t-on ? On voit ce qui ne va pas ou ce qui va ? Dans le monde occidental, notre attitude de base reste de voir ce qui ne va pas au lieu d’apprécier les forces vives et les choses qui vont bien. Mais avant d’arriver à cela, et pour espérer des résultats significatifs, la première chose à changer c’est le regard, «the way of thinking.» Nous devons tous être convaincus que chaque personne, chaque communauté a en elle-même les ressources pour résoudre ses problèmes. «The ways of working» signifie que lorsque nous sommes en interaction avec ces gens, nous sommes aussi là pour apprendre d’eux, et non pas seulement pour enseigner.»

C’est donc avant tout une invitation à changer notre regard pour construire une approche basée sur la confiance dans les capacités, souvent inexploitées, des personnes, en arrêtant de penser que nous avons la solution à leur place pour tout. Ici encore, les parallèles avec le management des entreprises libérées ou l’innovation de rupture que représentent les projets de social business sont grands !

« Une fois que nous découvrons nos forces, nous passons à l’action. »

Le livre démarre par un court témoignage qui résume bien l’énergie et l’engagement qui découlent de la confiance et de la responsabilisation : « Moi, je suis un gangster. Ma police me connaît. Jusque-là, mon boulot c’était de braquer des banques et de violer les filles. Maintenant, je me rends compte que ma vie est plus importante que cela ! » C’est Kasure qui parle. Il habite à Goroka, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Depuis quelques mois, il rend visite aux personnes malades du sida et encourage les jeunes à prendre leurs Réunion communauté localeresponsabilités face au VIH. Quand on lui demande ce qui a provoqué ce changement, il répond : « Pendant vingt ans, des ONG sont venues nous dire « Abstenez-vous ! Soyez fidèles ! Utilisez des préservatifs ! On les écoutait à peine. Puis une équipe de la Constellation m’a révélé mes forces. Personne ne m’avait jamais dit que j’avais des forces… Alors, maintenant, je les emploie ! »

Dans un contexte différent, on me rapportait récemment une anecdote qui a marqué les esprits des dirigeants d’un grand groupe de distribution français et les a confortés dans leur transition vers une nouvelle posture managériale, au service du développement et de l’engagement de leurs collaborateurs. Lors de son pot de départ en retraite, un employé de magasin dit à ses responsables « Pendant trente ans, vous avez payé pour avoir le travail de mes bras. Pour le même prix, vous auriez pu avoir aussi ce que j’avais dans la tête ! » Les organisations doivent donc vivre le lâcher-prise du command & control pour profiter pleinement de la force de « ceux qui savent parce qu’ils font. »

L’expérience contagieuse de La Constellation : plus d’un million d’acteurs dans vingt pays !

Together we're striving for Life CompetenceDepuis dix ans, La Constellation est une organisation de facilitateurs et un mouvement de communautés. En quittant le monde des organisations internationales, Jean-Louis Lamboray et tous les pionniers de cette approche communautaire étaient loin d’imaginer l’ampleur que le mouvement allait prendre. De la lutte contre le sida initialement, il s’applique également à la lutte contre le paludisme ou le diabète et peut s’étendre à de nombreuses problématiques de la vie des organisations…

Processus de Compétence communautaire pour la vieL’approche s’est construite progressivement et a été modélisée en tant que « Processus de la Compétence Communautaire pour la Vie » avec comme principe fondamental l’affirmation que les communautés pensent et agissent par elles-mêmes. La Constellation forme ainsi des « facilitateurs » qui stimulent les communautés à passer à l’action par une démarche qui apprécie les forces et stimule l’appropriation locale. Ainsi, les échanges ne sont pas basés sur les faiblesses des gens mais au contraire sur leurs forces. L’approche SALT (Support to Action Learning Team) est le mode d’interaction, véritable ADN de La Constellation. Il révèle les capacités des communautés à construire une vision de leur futur, à faire le point, à agir, à s’adapter et à apprendre. > en savoir plus sur SALT

La ConstellationCette approche « appréciative » a vocation à se diffuser largement jusqu’à échapper des mains de l’association elle-même. Jean-Louis explicite l’image de ce réseau planétaire : « Les communautés qui réagissent sont comme des étoiles: elles montrent le chemin vers la Compétence à la Vie. Lorsque les communautés communiquent entre elles et apprennent les unes des autres, elles créent une Constellation en croissance continue. »

Community Life Competence, connecting local responses around the worldLe site Internet de la Constellation détaille le Processus de la Compétence Communautaire pour la Vie et donne de nombreux témoignages de ce que les gens disent à propos de cette approche. Il est également très intéressant de voir combien reconnaître ses propres forces et passer à l’action change les personnes, les communautés et les organisations elles-mêmes. Les illustrations dans différents pays et contextes laissent entrevoir le potentiel de ces graines de changement > voir ici.

Une sagesse nouvelle, fruit de l’expérience de millions de personnes, comme source d’inspiration ?

Qu'est-ce qui nous rend humainsLe livre « Qu’est-ce qui nous rend humains ?» et le site Internet associé déclinent certains chapitres qui peuvent s’extrapoler à de nombreuses sphères de l’activité humaine et notamment stimuler notre remise en cause pour une gestion plus efficace et durable de nos organisations :

Une solution technique n’existe pas pour chaque problématique d’un monde qui semble chaque jour davantage être dans une impasse : les problèmes de santé et les grandes pandémies sont toujours présents même quand les remèdes sont connus ; les alarmes et autres caméras de surveillance n’ont pas fait disparaître l’insécurité et les énergies renouvelables ne suffisent pas à une consommation sans modération…

C’est une bonne nouvelle ! Car cela veut dire que l’humain reste au centre des solutions à apporter pour inventer un nouvel art de vivre ensemble. A partir de l’expérience de lutte contre le sida, Jean-Louis Lamboray invite plus largement à un changement de regard – positif et décapant ! – pour transformer le monde avec l’énergie du changement. Le processus de compétence communautaire pour la vie est une approche simple qui peut s’appliquer à beaucoup de nos organisations, pour rechercher le sens profond de nos actions ou faire face à un défi commun.

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